Développer l’accès à l’eau : un défi à l’urgence croissante
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ACEREDO, GALICE Près de la frontière portugaise, ce village englouti en 1992 suite à la construction d’un barrage, a refait surface en raison de la très forte sécheresse.
En mars, à l’occasion de la 32e journée mondiale de l’eau, de nombreux organismes et experts ont mis l’accent sur la raréfaction de cette ressource vitale et la nécessité d’en faire une priorité alliant solutions techniques, gestion responsable et concertation globale.
En 2015, les États membres des Nations-Unies ont adopté l’objectif d’un accès universel à une eau saine à l’horizon 2030. Aujourd’hui, de l’aveu même de l’organisation internationale, ce scénario fait figure de chimère. En dépit des progrès accomplis, 2,2 milliards de personnes à travers le monde ne disposent toujours pas d’un approvisionnement continu en eau potable.
Plus de 700 millions vivent même dans des zones dépourvues de services d’eau de base. Et les pénuries se multiplient. Les zones les plus touchées sont le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord mais le stress hydrique augmente aussi en Espagne, dans le Sud des États-Unis, en de nombreux points du continent asiatique, sur la côte Pacifique de l’Amérique du Sud ou encore en Australie.
Phénomène aux facteurs multiples
Cette situation résulte de plusieurs facteurs, au premier rang desquels figurent les effets du dérèglement climatique. En raison de l’augmentation globale de la température, les périodes de sécheresse s’allongent. En parallèle, l’élévation du niveau des océans (due à la fonte des glaces) et le réchauffement de l’air favorisent les événements météorologiques extrêmes (tempêtes, cyclones, pluies diluviennes). Les sols, rendus hermétiques par la chaleur, ne peuvent pas absorber ces afflux intenses. Au lieu de recharger les nappes souterraines, l’eau ruisselle, provoquant des crues et des inondations dévastatrices pour les cultures et les réseaux d’acheminement d’eau. La République démocratique du Congo en a fourni récemment un exemple dramatique.
La montée des eaux de mer provoque aussi la contamination des puits, des rivières et des nappes souterraines, et l’activité économique (agriculture intensive, déforestation) accroît encore le déficit. La raréfaction de l’eau affecte donc un nombre croissant d’individus, d’autant plus que certaines des régions les plus arides connaissent une très forte poussée démographique – le continent africain en particulier.
Selon l’organisme de recherche World Ressources Institute, plus d’un tiers de la population mondiale pourrait être soumise à un stress hydrique élevé en 2050, si ce n’est plus tôt.
Le dessalement en plein essor
Face à cette situation, les pays des zones les plus touchées ont recours à deux types de solutions.
La première est celle du dessale ment de l’eau de mer. Cette méthode s’est beaucoup développée au cours de la dernière décennie, stimulée par des investissements importants et une forte innovation. Un nouveau procédé, la technologie par « osmose inverse », permet de diviser de moitié les coûts énergétiques de production. Les capacités mondiales de dessalement devraient doubler dans les dix ou vingt prochaines années.
« Les acteurs historiques que sont Suez et Veolia conservent une place de premier plan dans cette industrie », constate Patrice Fonlladosa, CCE, président-fondateur de (Re)sources, un think tank spécialisé dans les problématiques de l’eau. « Elles font cependant face à une concurrence de plus en plus active de la part de sociétés espagnoles, coréennes, saoudiennes et israéliennes ».
Israël fait en effet figure de modèle. Le pays a développé ses capacités dès le début du siècle et sa production annuelle d’eau dessalée atteint aujourd’hui 800 millions de m 3 , soit 80 % des besoins de sa population. Pour l’Arabie saoudite, ce pourcentage s’élève à 60 % et il approche des 45 % aux Émirats arabes unis. Les pays d’Afrique du Nord investissent eux aussi à large échelle dans la désalinisation. Le Maroc prévoit de tripler sa production d’ici à 2030
Recycler les eaux usées
Le recyclage des eaux usées est une autre solution pour pallier les problèmes de pénurie hydrique. Longtemps freiné par des interdits de diverses natures, son usage se propage. « Il y a dix ans, dans les pays du Golfe, on ne pouvait pas utiliser les eaux traitées pour l’agriculture, en raison d’interdits religieux. Mais nécessité fait loi. Peu à peu, des fatwas ont été prononcées qui permettent maintenant de le faire sous certaines conditions », observe Patrice Fonlladosa.
S’agissant de la consommation humaine, la situation évolue elle aussi, quoique de manière plus lente. Singapour, longtemps dépendant de l’importation pour son approvisionnement en eau douce, a montré la voie dès les années 1970 en développant un vaste système d’épuration qui assure aujourd’hui 40 % des besoins de sa population. Grâce aux traitements appliqués, le pays affirme obtenir une eau dont la pureté excède les standards définis par l’OMS.
Autre pionnier : la Namibie. L’approvisionnement en eau potable de sa capitale, Windhoek, est assuré à hauteur de 30 % par le recyclage des eaux usées. Aucun problème de santé publique n’ayant été rapporté, ces exemples pourraient faire des émules : des projets sont à l’étude dans plusieurs villes américaines, indiennes et sud-africaines.
En Europe, la réutilisation des eaux usées se heurte toujours à des obstacles tant réglementaires que psychologiques. En France, moins de 1 % de l’eau est recyclée. Toutefois, en mars 2022, un décret a autorisé l’utilisation d’eaux traitées pour le nettoyage urbain. Un an plus tard, le Plan Eau du gouvernement a fixé un objectif de 10 % de réutilisation des « EUT » (eaux usées traitées). Et en novembre dernier, Veolia a réalisé une première européenne en inaugurant, aux Sables d’Olonne, une unité de recyclage destinée à la production d’eau potable.
Une meilleure gestion
Ces solutions palliatives ne doivent pas faire oublier que la raréfaction de l’eau n’est pas seulement liée à des facteurs climatiques, démographiques ou économiques. Elle résulte aussi fréquemment de carences dans la gestion et la maintenance des infrastructures.
À Mayotte, dont les problèmes de pénurie ont été largement médiatisés ces derniers mois, l’usure du réseau et le manque de vigilance engendrent des pertes de l’ordre de 25 à 35 % selon Gilles Cantal, le préfet chargé de gérer la crise.
De nombreux pays souffrent de taux de pertes analogues. « Certains gestionnaires de réseaux ont tendance à accroître les capacités de production au lieu de chercher à réduire les pertes et à améliorer l’entretien et l’efficacité », constate Patrice Fonlladosa.
Veolia, Suez et certains de leurs concurrents proposent pourtant aujourd’hui des outils de diagnostic très performants. Les entreprises françaises s’illustrent aussi dans le digital avec des plateformes de pilotage des installations parmi les plus sophistiquées au monde, qui permettent d’optimiser le rendement et les performances.
Pour Patrice Fonlladosa, la gestion trop laxiste de nombreux réseaux est symptomatique d’un problème plus large : une prise en compte insuffisante de l’urgence de la situation, de la part des industriels comme des pouvoirs publics. Avec d’autres spécialistes, il estime que « l’or bleu » devrait faire l’objet d’une attention prioritaire. « Nous sommes engagés dans une course contre la montre, insiste-t-il. Les gouvernements, les organisations internationales et le secteur privé doivent agir de concert pour relever le défi. C’est un enjeu fondamental, qui touche non seulement à la vie mais aussi à la dignité humaine »