Conférence de l’ONU sur l’Eau : l’eau et le choléra Interview de Renaud Piarroux
Une course contre la montre au Niger : mise en place d’un centre de traitement du choléra en quelques jours. @Union européenne, Ollivier Girard)
Interview de Renaud Piarroux
Défis Humanitaires : Peux-tu rappeler pour nos lecteurs ce qu’est le choléra qui provoque toujours des victimes dans de nombreux pays.
Renaud Piarroux : Le choléra est une maladie diarrhéique qui se traduit essentiellement par de la diarrhée et des vomissements. Dans les formes les plus graves, une déshydratation majeure peut entraîner un état de choc et même le décès du patient. C’est une maladie due à une bactérie que l’on retrouve chez l’homme et aussi dans l’eau de boisson, dans les aliments, après contamination humaine.
Défis Humanitaires. En 2022, nous avons fait face partout à un fort regain de choléra et de victimes de celui-ci dans le monde, pourquoi et que faire ?
Renaud Piarroux : Il y a effectivement plus de cas de choléra, en tout cas l’année dernière il y avait plus de cas de choléra que les années précédentes. C’est lié à des situations diverses, par exemple la guerre qui a eu lieu en Syrie avec des conséquences jusqu’au Liban dans les camps de réfugiés. C’est lié également à des reprises de choléra en Afrique, et aussi en Haïti. Donc, c’est à chaque fois lié à des contextes locaux particuliers qui font que la maladie a connu un essor assez important l’année dernière. Qu’est-ce que l’on doit craindre ? C’est que ces maladies restent tout aussi négligées qu’elles le sont actuellement et qu’il n’y ait pas de réponse à la hauteur de ce problème de santé qui a ré-émergé dans beaucoup de pays l’année dernière.
Défis Humanitaires : Y a-t-il un lien entre ce regain d’épidémie de choléra et la pandémie de la COVID-19.
Renaud Piarroux : Il y a peut-être un lien dans la mesure où beaucoup des moyens qui ont été alloués à la santé et aux maladies transmissibles sont partis sur le Covid-19. Ces moyens humains et matériels ont manqué pour la prise en charge de beaucoup d’autres maladies. Il ne s’agit pas que du choléra, c’est le même problème pour le paludisme, la tuberculose, la rougeole. C’est finalement un flux de moyens qui est allé sur la Covid et qui a manqué sur d’autres maladies.
Défis Humanitaires : Comment lutter contre le choléra afin de sauver des vies.
Renaud Piarroux : Quand il y a une épidémie, il faut déjà soigner les gens. Sur le choléra, c’est d’autant plus important que la maladie peut être très rapidement mortelle mais que si on traite et en réhydratant, soit par voie orale dans les cas les moins graves, soit par perfusion, on sauve les patients. La priorité est évidemment de réhydrater et de traiter les patients. Après, la lutte contre la transmission doit utiliser une palette d’outils et le mieux est d’utiliser la totalité de la palette. Elle va depuis la sécurisation de l’apport en eau potable, l’information, l’éducation à l’hygiène et la vaccination, sachant qu’aucun de ces outils, pris seul, ne peut maîtriser une épidémie. En particulier, on n’a pas, avec le vaccin contre le choléra, la même efficacité par exemple qu’avec le vaccin contre la fièvre jaune ou la rougeole. C’est l’ensemble de ces outils qui doivent être appliqué en urgence. Enfin, n’oublions pas qu’on n’aurait pas de choléra si on assurait un apport en eau potable correct aux populations partout dans le monde.
Défis Humanitaires ; Peut-on dire que l’accès à l’eau potable est le meilleur remède au choléra.
Renaud Piarroux : Oui, en fait il n’y a d’épidémies de choléra que là où les populations n’ont pas accès à l’eau potable. L’assainissement joue aussi mais c’est essentiellement l’eau potable qui permet de maitriser la transmission du choléra.
Défis Humanitaires : L’eau non potable provoque d’autres maladies dites hydriques puisque provenant de l’eau insalubre. As-tu des exemples.
Renaud Piarroux : Parmi les maladies dites hydriques, il y a des diarrhées infantiles, certaines sont d’origine virale, d’autres bactériennes, d’autres parasitaires ou fongiques . Tout dépend du contexte mais dans la plupart des cas, l’apport en eau potable est un élément déterminant. Il y a des exceptions, par exemple, on avait en France, et on a toujours, des épidémies de Rotavirus alors que l’on dispose de toute l’eau potable nécessaire. Ce virus se transmet simplement par des défauts d’hygiène des mains. L’eau potable ne garantit pas l’absence de toute maladie diarrhéique. On peut aussi tomber malade en mangeant des aliments contaminés. Il y a aussi les hépatites que l’on attrape avec de l’eau, ainsi que l’amibiase et d’autres parasites intestinaux.
Moha Ag Maouloud, utilise la latrine d’urgence que Solidarités International a offert au
village Sonima commune de Alzounoub dans le cercle de Goundam Décembre 2021. @SolidaritesInternational
Défis Humanitaires : Lors de la 78ème Assemblée mondiale de la santé, en mai 2018, celle-ci avait voté une résolution pour mettre fin au choléra dans le monde et avait décidé d’une feuille de route 2030. Ou en est-on aujourd’hui.
Renaud Piarroux : Rien. Je n’attends pas grand-chose de cette résolution, on peut toujours se dire qu’on va faire mieux à l’avenir, la réalité c’est que les moyens sont insuffisants pour atteindre ces objectifs.
Défis Humanitaires : Cette Assemblée mondiale de la santé avait même décidé de réduire de 90% le nombre de décès lié au choléra d’ici 2030. Est-on dans la bonne voie pour atteindre cet objectif ?
Renaud Piarroux : Si on veut obtenir ce résultat, il faut amener de l’eau potable dans les endroits les plus touchés. En tout cas, il faut être conscient qu’on n’y arrivera pas uniquement avec la vaccination. On a l’exemple actuel du Malawi où la lutte a été très axée sur la vaccination, mais le vaccin est partiellement efficace et surtout il ne protège que de manière temporaire. L’année dernière, on a eu la pire épidémie de choléra au Malawi de l’histoire du Malawi. Donc, le vrai problème c’est la répartition des richesses et le fait que des populations se trouvent dans des états de dénuement et de manque d’accès à l’eau potable. Quand on aura réglé ce problème-là, ça ira beaucoup mieux, mais tant qu’on laisse des pans entiers de la population mondiale dans une situation catastrophique en termes sanitaires faut pas s’étonner d’avoir des épidémies de choléra.
Défis Humanitaires : Cette année, du 22 au 25 mars, une Conférence de l’ONU est consacrée à l’eau, c’est-à-dire à l’Objectif 6 des Objectifs de Développement Durable. Quel est selon toi l’enjeu majeur de cette conférence et que peut-on en espérer ?
Renaud Piarroux : L’enjeu c’est de remobiliser ceux qui ont le pouvoir de faire quelque chose : les Etats et les grands acteurs privés, les fondations, etc. Ce qu’on peut faire c’est expliquer la situation et montrer que même si on est déjà à mi-parcours des ODD, la moitié du chemin, elle, n’est pas faite. On en est même encore loin. Ça peut servir de prise de conscience, surtout que cette conférence-là n’a plus eu lieu depuis 47 ans.
La lutte contre le choléra est très impactée par l’intérêt, ou plutôt le désintérêt, de chacune des nations, et pas centrée sur l’intérêt de l’humanité. Les problèmes étant gérés de cette manière-là, on a beaucoup de mal à avoir suffisamment de moyens pour intervenir dans les pays les plus touchés par le choléra. C’est d’ailleurs la même chose pour la tuberculose, le sida, le paludisme et de nombreuses maladies qui touchent en général les mêmes pays.
Défis Humanitaires : Lors du 9ème Forum Mondial de l’Eau à Dakar en 2022, Les Nations-Unies ont indiqué que pour atteindre l’ODD 6 (eau) en 2030 il faudrait multiplier par 4 les moyens financiers et par 23 dans les situations de crise. Est-ce que cette conférence va remobiliser tous les acteurs, mais aussi les ressources indispensables pour y parvenir ?
Renaud Piarroux : Vu ce qui s’est passé dans les autres conférences internationales jusqu’ici, je ne suis pas très optimiste sur le fait qu’il y ait une grande mobilisation qui soit suivie d’un investissement financier important. Malheureusement, les pays riches ont compris que le choléra n’était pas un problème pour eux. Manifestement, ils laissent faire.
Défis Humanitaires : Tu as beaucoup travaillé sur le choléra, notamment en Haïti, en RDC, avec des acteurs comme les ONG humanitaires et de développement, les organisations internationales, les Etats, tout en participant aux conférences internationales sur l’eau. Quels sont les enjeux et défis de l’action humanitaire et de développement face aux situations de crise et au choléra. Cette Conférence de l’ONU sur l’Objectif 6 Eau parviendra t’elle respecter les engagements pris par les 17 Objectifs de Développement Durables ?
Renaud Piarroux : La réponse est dans la question : chercher à faire bouger les lignes au travers de témoignages, en interpellant les acteurs majeurs. Mais le succès a été plus que mitigé jusqu’ici. Il ne pas faut pas pour autant abandonner la cause. Ce n’est pas parce que jusqu’ici il n’y a pas eu de mobilisation majeure globalement pour les problèmes sanitaires dans les pays en développement qu’il ne faut pas redemander à chaque fois à ce que cela soit fait.
La Covid a montré aussi que ce qu’il se passait dans un pays, même à l’autre bout de la planète pouvait nous concerner. Même si directement on n’a pas la crainte d’avoir du choléra, le fait qu’une grande partie de l’humanité vive dans des conditions sanitaires déplorables fait le lit d’épidémies et même de pandémies.
Un enfant traité en isolation pour le choléra, Juba, Sud Soudan. @UN Photo/ JC Mcllwaine.
Défis Humanitaires : Souhaites-tu préciser quelque chose pour conclure ?
Renaud Piarroux : Simplement, pour dire que le point important que je vois dans ce type de réunions c‘est d’interpeller les personnes qui ont la capacité de prendre des décisions. C’est de faire la lumière sur ce qu’il se passe et que l’on oublie très facilement, puisqu’on ne le voit pas chez nous. On laisse ça de côté jusqu’au jour où l’on se trouve confronté à un problème que l’on n’attendait pas. Ce que j’espère c’est qu’il y aura au maximum d’occasions de témoigner sur la situation de l’accès à l’eau dans les pays en développement.
Renaud Piarroux
Spécialiste des maladies infectieuses en particulier du choléra et de la médecine tropicale. Professeur à la faculté de médecine de Sorbonne Université. Membre de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique rattaché à l’INSERM et chef du service parasitologie à la Pitié Salpêtrière.