« Baisse de l’aide publique au développement : faire mieux avec moins ? » – par Patrice Fonlladosa et Jean-Patrice Poirier

« Saupoudrer nuit à l’efficacité. Avec un budget contraint, il faut inévitablement faire des choix. Nous devrions nous concentrer encore plus sur le continent africain », estiment Patrice Fonlladosa et Jean-Patrice Poirier, respectivement président du think tank (Re)sources et ancien administrateur de l’AFD

Les parlementaires débattent en ce moment du projet de loi de finances 2025 de la France. Concernant le budget de la mission aide publique au développement, le gouvernement le propose à 5,1 milliards d’euros. Il prévoit un coup de rabot sur l’ensemble des dispositifs d’appui qui pourraient atteindre près de 2 milliards par rapport au budget 2024, lui-même déjà en baisse par rapport à 2023.

 

La quasi-totalité des ONG, dont Coordination SUD qui regroupe des ONG françaises agissant contre la pauvreté dans les pays du Sud, protestent à juste titre contre cette baisse (pétitions et manifestations).

La France n’a pas à rougir de ses actions pour l’APD. D’un montant de 10,3 milliards d’euros en 2018, cette aide a été hissée à 16 milliards en 2022, représentant 0.55 % de notre richesse (revenu national brut, RNB). Cependant, les montants français n’atteignent toujours pas 0.7 % du RNB, promis par les pays riches depuis 40 ans. La France avait l’intention d’atteindre 0,7 % en 2025, échéance qui a été reportée maintenant à 2030.

Sur le document « Examen de l’OCDE sur la coopération pour le développement de la France » publié en juillet 2024, on peut noter que la France, 4e bailleur mondial en montant, fait mieux que le premier bailleur, les Etats-Unis, qui y consacrent seulement 0.22 % de leur richesse. Les montants versés par le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Japon sont dans les mêmes ordres de grandeur que la France. Le total mondial de l’APD est de 200 milliards de dollars.

Il est compréhensible qu’aux yeux de certains parlementaires des restrictions soient acceptées dans les programmes de l’APD, mais la diminution prévue au projet de budget 2025, qui reste à voter, est trop drastique. Si le débat sur les montants alloués est une chose nécessaire, voire indispensable, l’efficacité des programmes de l’aide est un facteur tout aussi important. On ne parle pas ici des mesures d’impact des programmes, ce qui existe déjà, mais bien de la construction des programmes. Cette amélioration de l’efficacité de l’APD, (construction des programmes et utilisation) pourrait en partie compenser la baisse des montants. Il serait regrettable, en cette période de restrictions budgétaires, de se priver de ce débat indispensable, et lié, sur l’efficacité en même temps que celui sur la restriction des montants.

Afin d’améliorer l’efficacité, voici quelques questions à mettre sur la table.

Le nombre des pays destinataires de l’aide n’est-il pas trop élevé ?

Saupoudrer nuit à l’efficacité. Avec un budget contraint, il faut inévitablement faire des choix. Nous devrions nous concentrer encore plus sur le continent africain, notre voisin, qui comprend la grande majorité des pays les moins avancés. De surcroît, l’Afrique recèle la plupart des enjeux stratégiques majeurs pour les décennies à venir : démographiques, sociaux, sécuritaires mais aussi économiques et sur les ressources proches de chez nous. Même si l’on consacre déjà environ 40 % de l’aide à ce continent, ce n’est certainement pas sur ces pays qu’il faut relâcher l’effort. Au contraire, c’est bien là qu’il faut accélérer.

Les priorités sectorielles sont-elles pertinentes ?

Établies dans le cadre de l’OCDE, les priorités de l’APD qui sont aujourd’hui mises en avant sont : climat et environnement, égalité femmes-hommes, éducation et santé. Dans leur grande majorité, ces priorités ont été décidées en fonction de la vision des pays donateurs et de la politique liée à la promotion de leurs propres intérêts. Il faut aborder la question dans l’autre sens, plus franchement et sans complexes : quels seraient les souhaits des pays récipiendaires ?

Par ailleurs, on peut noter que la part française de l’APD consacrée au secteur productif est très faible (8% en 2022, d’après le document OCDE publié en 2024 : Système de notification des pays créanciers). Pourtant, les emplois du secteur privé local sont créateurs de richesses (salaires, cotisations, impôts etc.) et conduisent progressivement les pays vers l’autonomie. Et si l’emploi productif est un impératif pour une partie de la jeunesse désœuvrée qui veut travailler, il devrait bénéficier de priorités en matière de programmes et de financements. A titre d’exemple, selon une étude récente du FMI, le Niger, pays de 26 millions d’habitants, sans vrais emplois avec une croissance démographique très élevée, devrait créer plus de 650 000 emplois par an au cours des 30 prochaines années. Plus généralement, on devrait favoriser le financement de projets plutôt que verser l’APD aux gouvernements.

Les outils pour distribuer l’aide sont-ils efficaces ?

L’Agence française de développement (AFD) est la principale organisation concernée puisqu’elle représente plus de 46% de l’APD. C’est une belle agence. Mais la France pourrait utiliser beaucoup plus les organisations de la société civile (OSC). En 2022, seulement 8 % de l’aide bilatérale transitaient par ces organisations, contre 13 % en moyenne pour les pays de l’OCDE.
Les débats, déjà existants, vont continuer avant et après l’adoption du budget 2025. Beaucoup de choses sont faites actuellement et mériteraient une mise en valeur plus systématique. Mais ne pas mener en parallèle du débat sur les montants celui sur l’efficacité de l’aide serait une faute.

Patrice Fonlladosa est le président du think tank (Re)sources et un ancien administrateur de l’AFD
Jean-Patrice Poirier est consultant international sur les questions de l’eau et de l’environnement,

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