Aveyron : le plaidoyer pro hydrogène vert du Firminois Marc Guillaume
Marc Guillaume partage son temps entre Paris où il réside et Firmi où il est né et possède toujours la maison familiale.
Agrégé d’économie, professeur d’économie, auteur, associé de la maison d’édition Descartes & Cie, Marc Guillaume publie en septembre un nouvel ouvrage: « énergies ultravertes-un manifeste contre les idées dominantes » (éditions Descartes & Cie, 120 pages, 12€)
Dans votre ouvrage, vous estimez que les énergies ultravertes dont l’hydrogène vert peuvent réconcilier écologie et croissance. Pourquoi et comment?
«La croissance économique, cela veut dire plus de biens et services qui demandent, presque tous, de l’énergie. Si cette énergie vient des ressources fossiles (charbon, gaz, pétrole) elle engendre les fameux gaz à effet de serre (GES) qui provoquent le changement climatique. Ce changement n’est pas, à lui tout seul la cause de tous nos problèmes d’environnement, mais directement ou indirectement, c’est, de très loin, la cause principale. Par exemple, la baisse de la biodiversité est aggravée par le réchauffement, notamment au fond des océans.
Que faire pour surmonter cette contradiction? Modérer la croissance? La stopper? Envisager la décroissance? Mais ce serait augmenter le chômage, réduire le pouvoir d’achat, ce que résume le slogan; « Fin du monde ou fin du mois ? ». La très grave crise économique ouverte par le Covid-19 ne sera atténuée que si la croissance peut reprendre rapidement.
De plus, la croissance économique contribue, pour plus de 40 % dans un pays comme le nôtre, aux recettes fiscales et donc aussi aux dépenses publiques, dépenses de formation, de santé, de solidarité, de recherche et d’innovation, etc.
C’est justement par l’innovation qu’on peut faire sauter le verrou de l’énergie. En se passant des ressources fossiles, en se libérant du pétrole, plus généralement en sortant de l’économie « carbonée » qui est la nôtre depuis deux siècles.
L’énergie nucléaire est une voie, utilisée par certains pays, dont la France, mais cela pose de nombreux problèmes bien connus et l’opinion publique est de plus en plus hostile. Reste les énergies renouvelables: géothermie, hydroélectricité, et surtout les panneaux solaires et les éoliennes. Mais ces énergies ne sont pas régulières et le plus souvent elles sont disponibles à contretemps, il n’y a pas assez de soleil l’hiver alors qu’on a besoin de chauffage. C’est ici qu’intervient l’hydrogène: il permet de stocker les énergies renouvelables et il leur donne un avenir».
Ce que vous appelez énergies vertes ce sont donc les énergies renouvelables rendues mieux utilisables grâce à l’hydrogène?
« Tout à fait. Imaginez une plateforme flottant à une dizaine de km du littoral. Elle n’est pas visible de la côte. Elle supporte des éoliennes, le vent est plus fort et plus constant. Vous produisez de l’hydrogène par électrolyse de l’eau et vous le ramenez à terre pour assurer la mobilité (des bus, des camions, des bateaux dans un premier temps) mais aussi pour répondre aux besoins industriels et domestiques. Car l’hydrogène peut fournir, grâce à des piles à combustibles, de l’électricité quand vous en avez besoin. Vous disposez ainsi d’énergie sans aucune émission de gaz à effet de serre.
Mieux encore, l’électrolyse de l’eau (H20) produit de l’hydrogène mais aussi de l’oxygène. Or l’oxygène peut servir à rendre l’eau potable (dans certains pays c’est précieux) ou être réinjectée dans des fonds marins qui justement sont devenus pauvres en oxygène. Cela n’est pas encore réalisé industriellement, mais c’est porteur d’espoir, un premier pas vers une réponse constructive: pendant deux siècles la croissance fondée sur le carbone a épuisé des ressources à portée de main et détruit notre environnement, il est possible que l’énergie du futur, même si elle est plus compliquée à mettre en œuvre, sera neutre pour l’environnement et même bénéfique. C’est cela que j’appelle les énergies ultravertes.
Et c’est proche de nous: la Région Occitanie prévoit la production d’électricité d’une ville comme Perpignan à partir de plateformes d’éoliennes au large du Golfe du Lion d’ici 2022 ».
Comment passer sereinement à la praxis, compte tenu des lobbies (pétrole, nucléaire…) ?
«pendant longtemps, les lobbies du pétrole ont considéré avec condescendance et même mépris les potentialités de l’hydrogène. Il est vrai d’ailleurs que des prévisions trop optimistes ou imprécises pouvaient être critiquées. Mais aujourd’hui, on arrive à un virage, certaines grandes entreprises liées au pétrole développent des filiales tournées vers l’hydrogène ou bien se préparent à racheter les start-up qui réussiront. Sortir du pétrole ne se fera pas en un jour, la rentabilité économique sera assurée progressivement, mais dans vingt ans nous serons largement entrés dans la société de l’hydrogène.
Quant à la filière nucléaire, elle n’est pas forcément opposée à l’hydrogène. De la même façon qu’elle a soutenu la voiture électrique à batterie, qui n’est qu’une transition sans avenir réel, elle sera favorable à l’utilisation de l’hydrogène car à l’origine de l’électrolyse de l’eau il faut disposer d’électricité qu’une centrale nucléaire peut fournir».
Les dernières annonces et mesures gouvernementales vous semblent-elles aller dans le sens d’une « transition énergétique intelligente » ?
« Oui tout à fait et je dirais : enfin! Nous avons perdu des années précieuses. En Europe, l’Allemagne a pris une longueur d’avance sur la France et c’est grave car elle commence à vendre son savoir-faire à d’autres pays, comme le Maroc par exemple. Le plan hydrogène présenté par Nicolas Hulot il y a deux ans, un financement public de 100 millions d’euros, était ridicule alors que les plans allemands se chiffraient en milliards d’euros. L’économie de l’hydrogène va se développer en Asie (Chine Japon et les dragons, Corée du Sud, Taïwan et Singapour), en Europe du Nord et en Allemagne, espérons que la France ne manquera pas cette transition énergétique. Elle en a les moyens technologiques et, de plus, elle dispose d’un littoral qui ne demande qu’à être exploité».
Quelles seraient à vos yeux les mesures à prendre en priorité?
«D’abord traduire les beaux discours et les promesses en décisions budgétaires effectives. Cela ne sera pas simple dans la conjoncture des prochains mois et des prochaines années. Il faut pourtant engager une transition qui peut créer des emplois industriels. Il faut aussi s’appuyer sur les régions et sur les villes: chaque territoire a ses capacités et ses besoins propres. C’est une grande différence avec l’économie du pétrole qui est dirigée par quelques grands groupes mondiaux alors que chaque territoire dispose d’énergies renouvelables spécifiques. Mais il faut organiser cette diversité, préférer les commandes groupées et les fabricants français, faire émerger des start-up compétitives».
Vos autres projets d’écriture et d’édition?
«Mon travail ne s’arrête pas avec la publication du livre. Au-delà d’une prise de conscience, je voudrais convaincre des responsables politiques et industriels pour qu’ils accélèrent la mise en œuvre de projets innovants. Par exemple, j’aimerais soutenir des projets en Afrique, un continent dans lequel le verrou énergétique empêche le développement. Il ne faut pas oublier que l’Afrique en 2050 comptera près de 2,5 milliards d’habitants!
Tous les pays africains devraient préparer la fin du pétrole et il ne faut pas laisser les Chinois se charger seuls de la transition énergétique.
Mais, en même temps, je continuerai à écrire et à publier des livres sur l’économie, la philosophie ainsi que sur les méthodes de médiation et de négociation».
Propos recueillis par Bernard-Hugues Saint-Paul
Source : Ladepeche.fr