UNE CRISE DE L’EAU PROGRAMMÉE AUX ETATS-UNIS
Tribune de : Richard BALME agrégé du supérieur en science politique, professeur à Sciences Po et membre de (Re)sources.
L’environnement figure parmi les domaines où la politique de l’administration de Donald Trump s’est montrée particulièrement active. Le monde entier a pu le constater avec le retrait spectaculaire des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat annoncé le 1er juin 2017. Le front intérieur n’est pas en reste cependant. Dès les premiers jours de son entrée en fonction en janvier 2017, la nouvelle administration effaçait purement et simplement la page dédiée au changement climatique du site web de la maison blanche, pour la remplacer par un « Plan Energie pour l’Amérique d’abord ». Elle autorisait aussitôt la construction de la phase finale du Keystone Pipeline reliant les forages de l’ouest canadien aux raffineries de l’Illinois et du Texas, précédemment suspendue par l’administration Obama. L’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) annonçait également le retrait du Plan pour l’Energie Propre (Clean Power Plan) élaboré en 2015 pour limiter les émissions de gaz à effet de serre dans la production d’électricité, et le « retour du charbon ». Elle a depuis considérablement étendu et assoupli les autorisations de forage d’hydrocarbures, notamment de gaz de schiste.
C’est une véritable frénésie de dérégulation qui a saisi l’Agence de Protection de l’Environnement dirigée par Scott Pruitt jusqu’à sa bruyante démission à la suite d’allégations de corruption le 5 juillet 2018. Connu pour ses positions climatosceptiques pour son activisme judiciaire contre l’EPA quand il était procureur général de l’Oklahoma, il aura scrupuleusement orchestré le démantèlement des mesures environnementales de l’administration précédente. L’eau se trouve au cœur des enjeux de cette nouvelle politique. Parmi cet arsenal de dérégulation figure en effet la suppression du décret de 2015 portant modification de Waters of the United States (WOTUS) qui étendait la classification des cours d’eau et zones humides tombant sous régulation fédérale, et du même coup limitait les autorisations de décharge dans les rivières et étendait les obligations de protection faites aux exploitants agricoles, à l’industrie et aux promoteurs immobiliers. Le décret de 2015 de l’administration Obama s’était heurté à une levée de boucliers au nom du droit de propriété, de la liberté d’entreprendre et d’un anti-fédéralisme récurrents dans la culture politique américaine, et largement mobilisés par Donald Trump. L’American Farm Bureau Association et l’American Petroleum Institute, ainsi que de nombreux élus républicains notamment réclamaient la suppression de WOTUS. Une coalition de 11 procureurs généraux (General Attorneys) démocrates (Californie, Connecticut, Maryland, Massachusetts, New Jersey, New York, Oregon, Rhode Island, Vermont, Washington, et District of Columbia) emmenés par Eric Schneiderman de l’Etat de New York ont engagé une action en justice contre l’EPA dès l’annonce de la suspension de WOTUS, de même que des associations environnementales telles que le Natural Resources Defense Council, la National Wildlife Federation ou Environment America. En attendant la révision de ce décret, c’est la définition de 1988 qui est à ce jour utilisée par l’EPA dans sa classification des cours d’eau. Le 29 juin 2018, l’EPA a confirmé que son intention est bien de supprimer le décret de 2015 pour le remplacer par une régulation beaucoup plus légère.
Il est paradoxal –pour dire le moins – de voir l’EPA, considérée depuis sa création par Richard Nixon comme l’incarnation de la protection de l’environnement dans le pays et largement au-delà de ses frontières, travailler activement à faciliter les atteintes aux ressources en eau. L’agence est ainsi devenue l’instrument d’une politique de dérégulation dont les effets environnementaux sont largement négatifs. Alors que le stress hydrique frappe durement certaines régions, notamment les Etats du sud-ouest, et que la qualité des aquifères se dégrade, les ressources et l’accès à l’eau se trouvent menacés par la fracturation hydraulique et les autorisations de forage et par la déclassification des cours d’eau. Les coupes budgétaires vont également limiter les capacités de surveillance et de contrôle de l’EPA dans son rôle de gendarme environnemental. Enfin, la distribution d’eau, largement assurée par des opérateurs publics locaux aux Etats-Unis, souffre également d’un déficit chronique d‘investissement dans les infrastructures. Le drame de la ville de Flint, où des milliers d’enfants ont été exposés à une eau sévèrement contaminée en plomb en 2014, entraînant une rupture de l’approvisionnement en eau potable, a attiré l’attention des américains sur la sécurité de l’eau de consommation courante. La politique de l’administration Trump peut sembler à cet égard plus positive, puisqu’elle s’est engagée à rénover massivement les infrastructures du pays. Il reste à voir si ces programmes d’investissement seront suffisants, et surtout comment ils seront déclinés au niveau local, sans doute avec beaucoup d’inégalités territoriales et sociales. A plus long terme, cette politique d’infrastructures ne compensera pas la dégradation qualitative et quantitative des ressources en eau, déjà critique dans certains Etats.
Cette situation est sans précédent dans l’histoire américaine, où la politique environnementale a jusqu’ici connu une progression, certes lente et inégale, mais continue. C’est la première fois que le gouvernement fédéral conduit une politique environnementale ouvertement régressive. Cette politique engage aussi Washington dans un bras de fer politique et juridique avec un nombre significatif d’Etats et introduit une tension importante dans le système fédéral américain. Enfin elle est aussi sans équivalent international, et il est à souhaiter que les Etats-Unis n’ouvrent pas de la sorte un précédent de politisation par l’environnement qui pourrait faire école ailleurs, notamment en Europe où les populismes et les ressentiments à l’égard des régulations de l’Union Européenne, si importantes dans le domaine environnemental, se portent bien.
Richard BALME : agrégé du supérieur en science politique. Il est actuellement professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Il est Directeur du master en International Public Management, Ecole des Affaires Internationales ainsi que de l’Executive Master en Politiques et Management du Développement. Il est membre nommé du Public Policy Forum, Legislative Council of the Hong Kong Special Administrative Region, 2005-2007. Il est aussi personnalité associée au Conseil Economique, Social et de l’Environnement, à la section des affaires européennes et internationales, 2012-2014.