Sans statistiques, l’impossible développement des pays les plus pauvres
Outil méconnu de l’aide aux pays pauvres, la production de données statistiques constitue pourtant un point de départ indispensable pour le développement, notamment en Afrique subsaharienne, mais se heurte encore à un manque de moyens. « La statistique est indispensable au développement économique », défendait le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon dès 2010. « Comme dans bien d’autres domaines, les pays en développement sont souvent désavantagés, manquant de fonds pour les traitements, la formation de personnel et la collecte de données », pointait-il dans un discours sanctuarisant le 20 octobre comme Journée mondiale de la statistique.
Depuis, les progrès se comptent à petits pas. « En 2017, on estimait que 0,34 % de l’aide au développement dans le monde était consacrée à des projets statistiques, soit 689 millions de dollars. C’est deux fois plus qu’en 2007, mais ça reste peu », explique à l’AFP Clément Dupont qui pilote le programme Pan-African Statistics (PaS), pour l’agence de coopération Expertise France. « Ce n’est pas l’outil le plus visible pour les bailleurs de fonds, donc ce n’est pas forcément ce sur quoi ils mettent l’accent », poursuit-il. Pourtant, chez de nombreux experts, un consensus se dégage sur l’importance d’avoir des données chiffrées fiables pour mener des politiques de développement efficaces.
Planification « à l’aveuglette »
« Nous avons encore des connaissances lacunaires du fonctionnement de beaucoup de pays en développement. Alors on fonctionne beaucoup avec des a priori dans la mise en place de politiques qui ne correspondent pas à la réalité », regrette Mireille Razafindrakoto, économiste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). « Comment mettre en place un programme de développement pour un pays si vous n’avez pas de chiffres ? Pour construire des écoles, des dispensaires, des routes, il faut avoir une idée de la population, de sa tranche d’âge, du trafic routier… Si on planifie à l’aveuglette on ne peut pas s’étonner qu’il n’y ait pas de résultat », abonde Maxime Bonkoungou, chef d’équipe du PaS auprès de l’Union africaine (UA).
Le financement de projets d’infrastructures de base fait partie des 17 objectifs de développement durable (ODD) fixés pour 2030 par l’ONU. « À l’heure actuelle, nous avons des données disponibles pour seulement 20 % des indicateurs de mesure des ODD », notait l’an dernier un rapport de Paris21, organe de l’Organisation pour le développement et la coopération économiques (OCDE), spécialisé dans la coopération statistique. Plusieurs pays comme le Ghana ou l’Éthiopie n’ont par exemple pas d’indice du commerce extérieur. Et 23 pays sur les 55 que compte l’UA ne produisent pas de comptes nationaux trimestriels. Le Soudan produit quant à lui ses comptes nationaux annuels en se référant toujours au système de comptabilité de 1968.
Bonne gouvernance
Et quand ce n’est pas l’absence de données qui pose problème, c’est leur qualité ou leur harmonisation. « Qui dit intégration régionale dit harmonisation. Pour comparer le taux de chômage au Sénégal à celui en Gambie, il faut utiliser la même méthode », pointe Clément Dupont. « Il y a 55 États en Afrique, si chaque pays utilise ses propres méthodes, on ne pourra pas comparer et prendre de décision au niveau continental », poursuit M. Bonkoungou.
Mais les indicateurs statistiques ne se résument pas aux chiffres de la croissance, de l’inflation ou du commerce extérieur. « Avoir des données, c’est aussi un moyen de suivre les politiques, de rendre les gouvernants redevables de leurs actions », ajoute-t-il. Ils peuvent aussi être un outil pour juger de la bonne gouvernance d’un pays, grâce à des indicateurs sur le niveau de confiance envers les institutions ou la mesure de la corruption. « C’est un moyen pour la population d’imposer au gouvernement d’être redevable. Le débat démocratique ne peut se faire sans information », estime Mireille Razafindrakoto. « Les statistiques sont un outil qui permet de faire vivre une démocratie. Sans statistique, c’est impossible d’avoir une bonne gouvernance », renchérit Clément Dupont.
À l’heure actuelle, le financement des projets statistiques, notamment en Afrique subsaharienne, dépend encore énormément de l’aide extérieure. « Un de nos objectifs, c’est de faire en sorte que les gouvernements africains consacrent des moyens pour des projets statistiques, au moins 0,15 % de leur budget », note Maxime Bonkoungou. « Le chemin est encore long, mais on fait des progrès », conclut-il.
Pierre DONADIEU/AFP
Source : L’Orient Le Jour