3 QUESTIONS A GERARD PAYEN (Matinale (Re)sources « L’accès universel à l’eau et à l’énergie : un enjeu clé de l’agenda post 2015 »)
Les objectifs du Développement durable qui succèderont en 2015 aux objectifs du Millénaire seront-ils suffisamment ambitieux et réalistes ?
Dans quelles conditions rendre possible un accès universel à l’eau et à l’énergie dans les pays en développement face aux menaces telles que l’urbanisation, la démographie et le climat ?
Quels enseignements tirer de la mise en œuvre des OMD dans le domaine de l’eau, et de l’assainissement ?
Dans le domaine de l’eau, le programme des Objectifs du Millénaire a montré l’extraordinaire influence d’une politique mondiale qui ne se satisfait pas uniquement de mots mais qui est assise sur des indicateurs chiffrés dont le progrès vers une cible datée est mesurable, mesuré et discuté publiquement. Il y a deux cibles liées à l’eau, l’une pour l’accès à l’eau potable, l’autre pour l’accès à des toilettes décentes. Dans les deux cas, les indicateurs correspondants sont maintenant connus et discutés dans tous les débats internationaux et dans toutes les politiques nationales. Le fait que les résultats soient publiés régulièrement stimule les débats, permet d’identifier les retards ou les pays qui mettent des moyens insuffisants et, de ce fait, permet de stimuler des améliorations concrètes.
L’usage d’indicateurs chiffrés a eu trois conséquences imprévues liées aux efforts d’amélioration des statistiques internationales. Les travaux de mesure de l’accès à l’eau potable ont montré une sous-estimation d’un facteur d’au moins 3 du nombre de personnes utilisant une eau contaminée dangereuse pour leur santé. Dans le domaine de l’assainissement, la publication d’informations qui étaient disponibles de façon éparse et non publiques, a montré à tous les décideurs l’ampleur du problème de la défécation en plein air. Dans ces deux cas, cette prise de conscience a permis de réorienter l’action. Par ailleurs, l’amélioration des statistiques depuis 2000 a aussi montré que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement régresse dans les villes mais, la communauté internationale continue à ignorer ce sujet et aucune réaction sérieuse n’a encore eu lieu.
Les OMD ont eu un impact considérable sur les domaines qu’ils ont ciblés. Mais, dans le domaine de l’eau, ils sont très restreints et ne visent à résoudre que l’accès des populations à l’eau potable et à l’assainissement, ce qui n’est que l’un des quatre grands enjeux liés à l’eau..
Les ODD seront-ils suffisamment ambitieux et réalistes ?
C’est bien entendu ce que cherchent celles et ceux qui se battent aujourd’hui pour l’adoption d’un grand programme d’objectifs mondiaux pour le développement durable fin 2015. Ces ODD doivent être ambitieux sinon ils consacreront l’insuffisance actuelle des politiques dans de nombreux domaines. Mais, il leur faut ne pas paraitre irréalistes afin de ne pas donner prétexte à l’inaction.
Je crois que dans le domaine de l’eau, les propositions actuelles sont bonnes et ambitieuses. Il le faut parce que les difficultés liées à l’eau sont croissantes dans le monde. Il est absolument nécessaire de faire davantage pour l’accès des populations à l’eau potable et à l’assainissement, pour la gestion des pollutions liées aux activités humaines, pour satisfaire les demandes croissantes en eau et pour limiter l’impact des catastrophes dont on nous annonce que le nombre va aller croissant. Les objectifs ultimes peuvent paraitre ambitieux mais ils sont absolument indispensables. Comment imaginer que l’on puisse accepter que des milliards de personnes n’aient pas d’eau potable ? Il reste à fixer des cibles quantifiées pour 2030 qui soient réalistes tout en entrainant une réelle accélération des politiques publiques.
Les indicateurs qui vont être utilisés sont essentiels. Ils ne sont pas encore connus avec précision. Pour l’accès universel à l’eau potable, certains voudraient viser un accès à de l‘eau non contaminée alors que d’autres se satisferaient d’un accès à des sources d’eau dites améliorées, c’est-à-dire non partagées avec des animaux, alors qu’il est maintenant établi qu’un grand nombre d’entre elles sont contaminées. Pour la gestion des eaux usées, les indicateurs proposés par ONU-Eau sont très réalistes. Conscientes qu’au niveau mondial le suivi de la gestion des eaux usées démarre de zéro, les Nations Unies proposent en effet de mesurer dans chaque pays la proportion de la population qui est raccordée à une station d’épuration ou qui a un dispositif de dépollution individuel. C’est un indicateur moins sophistiqué que la proportion des flux d’eaux usées qui sont épurés mais c’est une donnée bien plus aisément accessible dans la totalité des pays.
Comment rendre possible un accès universel à l’eau dans les pays en développement, face aux menaces telles que l’urbanisation, la démographie, les changements climatiques ?
L’accès universel à l’eau potable ne se produira pas par hasard. Dans un monde qui s’urbanise et dont la population croit, de moins en moins de personnes peuvent trouver de l’eau potable par elles-mêmes. Les solutions sont forcément collectives et passent par des politiques publiques qui ciblent cet accès universel.
Ces politiques doivent bien entendu affronter les difficultés techniques ou économiques, mais le déterminant essentiel est la priorité donnée à ce sujet dans les politiques nationales et locales. Dans des pays de niveau de développement économique similaire, la proportion de la population qui bénéficie d’un bon accès à l’eau potable peut varier énormément. Mais la proportion de leurs PIB respectifs qu’ils consacrent à la gestion de l’eau diffère aussi énormément d’un pays à l’autre : du simple au quadruple ! C’est tout l’enjeu des Objectifs du Développement Durable. Il s’agit d’identifier les objectifs prioritaires pour le monde et ensuite par cohérence d’en faire des priorités politiques et budgétaires dans chaque pays, alors que c’est loin d’être le cas aujourd’hui pour tous les grands enjeux retenus.
Dans la moitié rurale du monde, tous les indicateurs d’accès à l’eau et à l’assainissement sont au vert. La population qui n’a pas accès à des services satisfaisants est en nombre décroissant. Ce n’est malheureusement pas le cas de la moitié urbaine du monde : en moyenne dans les villes, les infrastructures publiques n’arrivent pas à se développer aussi vite que la croissance démographique. La course-poursuite entre les deux est aujourd’hui perdue par les politiques publiques (en moyenne mondiale) et il faut trouver le moyen de renverser cette tendance. Dans un monde où malheureusement la population habitant en bidonville ne cesse d’augmenter, la seule façon d’assurer l’accès universel est d’avoir des politiques urbaines qui ciblent simultanément les zones de développement structurées où les habitants s’installent après la création des infrastructures publiques, et les zones de développement informel où les habitants s’installent avant toute autre chose.
Alimenter les bidonvilles en eau est possible, j’en ai fait l’expérience personnelle en de nombreux endroits. Encore faut-il le vouloir et trouver le moyen de surmonter les obstacles juridiques ou institutionnels qui souvent interdisent aux opérateurs d’y mettre les pieds. La mise en œuvre du droit de l’homme à l’eau potable exige que les autorités publiques ne se contentent pas d’invoquer les questions de propriété privée du terrain ou de destination de celui-ci à un investissement public ou encore de son caractère de zone dangereuse pour faire l’économie d’un service public même temporaire dans toutes les zones d’habitations même informelles.