SYNTHÈSE DE LA MATINALE « LA SANTE NUMÉRIQUE : QUEL POTENTIEL POUR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT ? »
05/10/2017 – Centre de Conférences “Les Pensières” 55 route d’Annecy, Vieille route des Pensières 74290 Veyrier-du-Lac
La santé est l’un des domaines d’application les plus porteurs pour le numérique, en particulier dans les pays en développement où l’e-santé pourrait transformer la pratique de la médecine et compenser le manque endémique de soins médicaux. Les nombreux projets de santé numérique, à visée curative et préventive, sont applicables dans tous les domaines de santé publique. De même, la rupture technologique, créée par l’essor de la téléphonie mobile, a révolutionné la manière d’atteindre les populations les plus vulnérables mais aussi de sensibiliser et de former le personnel soignant. Mais en dépit des bénéfices incontestables en termes de santé publique, nombreux sont les projets d’e-santé qui peinent encore à se déployer, faute de moyens et de modèles économiques viables.
Quel avenir pour la santé numérique dans les pays en développement ? Comment les populations et les professionnels de santé s’approprient-ils ces nouveaux outils ? Comment diffuser efficacement ces innovations pour améliorer la santé des populations dans les pays en développement ? Comment certaines pratiques pourraient inspirer celles des pays développés ?
Débat avec :
Béatrice GARRETTE, directrice générale de la Fondation Pierre Fabre. Elle a mené une partie de sa carrière dans le secteur des médias et de l’édition, en exerçant des fonctions de management puis de direction d’entreprise. En 2013, après avoir assuré la fonction de présidente-directrice générale de Malesherbes publications au sein du groupe Le Monde, elle rejoint la Fondation Pierre Fabre en tant que directrice générale. Depuis, Béatrice Garrette pilote le développement des actions de la Fondation, dont l’objet est l’accès aux médicaments et aux soins de qualité pour les populations des pays les moins avancés et émergents. L’Observatoire de l’E-santé, crée en 2016 à l’initiative de la Fondation Pierre Fabre, a pour mission de promouvoir les initiatives e-santé dans les pays du Sud.
Docteur Line KLEINEBREIL, diabétologue, vice-Présidente de l’Université Numérique Francophone Mondiale. Line Kleinebreil est diplômée en médecine, mais aussi en mathématiques, en technologies de l’information et en pédagogie. Elle a exercé simultanément une activité clinique libérale et une activité d’informatique médicale au sein de l’APHP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris). Son intérêt pour l’éducation l’a orientée vers l’éducation thérapeutique et les maladies chroniques comme le diabète. Consultante pour l’Organisation Mondiale de la Santé, elle a participé à de nombreux projets européens et joué un rôle dans le développement de la télémédecine à l’hôpital européen Georges Pompidou. En 2005, elle a rejoint l’UNFM (Université Numérique Francophone Mondiale) et mis en place, en partenariat avec le réseau RAFT des Hôpitaux de Genève, des formations continues à distance pour les pays en développement. Actuellement, elle est également consultante pour le programme «Be He@lthy Be Mobile » de l’OMS / ITU qui repose sur la téléphonie mobile pour lutter contre les maladies chroniques.
Mehdi BENCHOUFI, chef de clinique en épidémiologie à l’Hôpital Hôtel Dieu. Médecin de formation et agrégé de mathématiques, Mehdi Benchoufi est un expert des technologies numériques. Fondateur du think tank JADE qui valorise les liens entre démocratie, éducation et innovation, il est très engagé dans l’intégration des technologies numériques ouvertes dans notre société, que ce soit pour rendre le système démocratique plus interactif ou pour favoriser l’accès à l’éducation et à la santé. Il est coordinateur d’Epidemium, un challenge d’open big data dans le domaine de l’épidémiologie du cancer Il est également à l’origine du projet echOpen, un échographe Open Source, low cost, connecté au smartphone. Ce projet collaboratif et « open community » a pour objectif le développement d’outils d’imagerie médicale open source en vue de les rendre universellement accessibles.
Modérateur :
Benoit MIRIBEL, directeur général de la Fondation Mérieux et président d’honneur d’Action contre la Faim. Il a exercé les fonctions de directeur général d’Action contre la Faim et auparavant de l’Institut Bioforce Développement, centre de formation professionnelle et d’orientation pour les acteurs de la solidarité internationale. Benoît Miribel préside le Centre Français des Fonds et Fondations (CFF) depuis 2015 et est à l’initiative de la revue « Alternatives Humanitaires » lancée en 2016. Membre de (Re)Sources depuis son origine, il a également été membre du Haut Conseil de la Coopération Internationale (HCCI), de la Commission du Livre Blanc du Ministère des Affaires Etrangères (2008), de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (1998-2001, puis 2011- 2013).
Synthèse des échanges
Les technologies numériques et mobiles révolutionnent de nombreux secteurs, notamment dans les pays en développement. La santé ne fait pas exception : le numérique offre un immense potentiel de transformation de la pratique de la médecine et de l’accès aux soins. Comment les nouveaux outils entraînent-ils de nouveaux usages chez les professionnels de santé comme chez les populations ? Quelles sont les perspectives de développement de ces outils ?
Les possibilités offertes par le numérique
Accessibilité des données médicales, télémédecine et diagnostics à distance, enquêtes épidémiologiques… les innovations dans le domaine de la e-santé sont très nombreuses. Ces nouvelles technologies et leurs applications procèdent d’une double rupture paradigmatique : « la démocratisation de l’accès au téléphone portable et la démocratisation de l’accès à des technologies très avancées, notamment les technologies d’intelligence artificielle en Open source » (M. Benchoufi). C’est cette combinaison, par exemple, qui a permis et permet encore le développement du projet d’échostéthoscope EchOpen, une sonde sans fil connectée à un téléphone portable capable de produire une échographie de grande qualité médicale : « le téléphone deviendra une sorte de laboratoire à la disposition de tous. » (M.Benchoufi). Peut-être même qu’un jour, « quand on consultera un médecin, celui-ci disposera de tous les outils diagnostiques dans son cabinet » (B. Miribel) grâce aux nouveaux outils numériques.
Rapprocher les populations et les services
« La vraie révolution a consisté dans l’apparition du mobile ; c’est l’élément déterminant qui fait que les programmes peuvent vraiment atteindre leur cible » (L. Kleinebreil). En effet, « la santé mobile permet souvent de mettre davantage et mieux en lien les populations avec les services de santé » (B. Garrette), comme le montre l’expérience malienne de télé-dermatologie : des agents de santé formés aux outils digitaux apprennent à distinguer les pathologies banales, qu’ils peuvent traiter, des pathologies complexes qui nécessitent un diagnostic de spécialiste. Non seulement la médecine se rapproche des populations mais, « quand on éduque la population sur la santé, le téléphone rapproche les populations des services de proximité. »
Un nécessaire passage à l’échelle
Toutefois, l’ampleur de cette révolution mobile peut être nuancée : « énormément d’expériences pilotes (…) donnent des résultats intéressants et positifs mais les financements s’arrêtent et il n’y a pas de continuité« » (L. Kleinebreil). C’est justement ce que souhaite éviter l’Observatoire de la E-santé de la fondation Pierre Fabre en répertoriant les projets effectivement fonctionnels et utiles aux populations ; c’est une étape indispensable pour repérer les initiatives au potentiel structurant de mise à l’échelle. « Nous devons distinguer ce qui a du potentiel, ce qui peut constituer un vrai modèle » et qui pourra être répliqué et utilisé à plus grande échelle (B. Garrette). Une fois les projets performants sélectionnés conjointement par les acteurs du Nord et du Sud, les États devront s’en emparer et structurer l’accès aux infrastructures qui les rendent possibles.
L’État, acteur clé du développement numérique
Si « le numérique constitue une chance exceptionnelle pour les pays en développement » (L. Kleinebreil) en matière d’accès à la santé, « la question politique va jouer un rôle déterminant »(M. Benchoufi). Tous les intervenants s’accordent sur le rôle stratégique que doit jouer l’État dans le secteur surtout pour répondre aux besoins en infrastructures (réseaux de télécommunications notamment). « Les infrastructures onéreuses peuvent être mutualisées entre les grands secteurs gouvernementaux » (L. Kleinebreil). Ce développement infrastructurel est crucial, même si 50 % des initiatives repérées par l’Observatoire de la E-santé fonctionnent hors ligne et ne requièrent que des mises à jour différées (B. Garrette). On peut citer l’exemple de Khushi Baby qui, en Inde, équipe les bébés de pendentifs avec des puces NFC qui contiennent les données médicales de l’enfant et sont lisibles par les agents de santé équipés.
Un écosystème multi-acteurs
Toutefois,il faut se libérer « des idées selon lesquelles l’intervention publique doit couvrir de manière top down l’ensemble des besoins » (M. Benchoufi). De nombreux acteurs doivent être associés, au premier rang desquels les acteurs privés. Ainsi, Google Loon développe un réseau de ballons dirigeables qui vise à améliorer la couverture réseau en Afrique. Les communautés et les usagers peuvent aussi faire partie de ce réseau d’acteurs : « il faut partir des besoins des populations de manière à ce qu’elles puissent s’approprier le projet » (B. Garrette). Cela implique également que « les innovations, les services et les usages devront partir des conditions du Sud, et ne pas relever de l’importation de modèle de la part des pays du Nord » (B.Garrette). Quant aux outils, ils « doivent pouvoir être mis en œuvre dans des contextes à chaque fois spécifiques » (B. Miribel) et adaptés à la situation à laquelle ils sont appliqués.
De nouveaux usages en santé publique
Les populations ont des connaissances de terrain à mobiliser justement pour adapter les projets aux besoins et aux réalités : « beaucoup d’initiatives consistent à conjuguer de façon intéressante l’intelligence de la foule avec les moyens technologiques » (M. Benchoufi). Par exemple, lors de la crise Ébola, les populations ont pu être mobilisées pour marquer les foyers de contamination sur des cartes en ligne. Les outils numériques replacent donc les patients au cœur de l’écosystème de soins et de prévention. « Le numérique amène des formes nouvelles d’appropriation et de participation » (B. Miribel). Cela permet également de rééquilibrer les usages des services médicaux par l’amélioration du diagnostic. En France, 80 % des consultations hospitalières ne relèvent pas de l’urgence. Des outils simples rendent possible une meilleure orientation des malades pour une meilleure allocation des ressources.