« SI ON NE S’ATTAQUE PAS D’URGENCE AUX CAUSES ENVIRONNEMENTALES DES MALADIES CHRONIQUES, LES VIRUS AURONT TOUJOURS UN COUP D’AVANCE »
Quel impact la pollution a-t-elle sur notre santé ? Les perturbateurs endocriniens provoquent-ils de l’obésité ? Comment repérer les obésogènes et comment s’en protéger ? L’avenir de l’espèce humaine passe-t-il nécessairement par le prisme de la santé environnementale ? Le docteur Gilles Nalbone, directeur de recherche émérite de l’INSERM et correspondant marseillais du Réseau Environnement Santé présidé par André Cicolella a accepté de répondre à nos questions. Une interview volontairement fleuve tant le sujet est vaste et les conséquences sur les générations futures déterminantes.
A quand remontent les premiers signes de dégradation de notre environnement ?
De tous temps, l’activité humaine a causé des atteintes à l’environnement. La prise de conscience de ces atteintes remonte à très longtemps puisque déjà Hippocrate, médecin philosophe grec (400 avant Jésus-Christ), disait en substance que « pour étudier la médecine il faut considérer d’abord les saisons, connaître la qualité des eaux, des vents, étudier les divers états du sol et le genre de vie des habitants ». Mais comme souvent, les précurseurs ont raison trop tôt ! Dans le passé, hormis quelques cas notoires comme la déforestation de l’Île de Pâques, les dégradations environnementales d’origine anthropique restaient limitées dans le temps et l’espace et les équilibres naturels parvenaient le plus souvent à reprendre le dessus. Plus rapproché de notre époque, on sait que, déjà dès le début de l’ère industrielle vers le milieu du 19ème siècle, les émissions de gaz à effet de serre ont significativement augmenté et contribué aux prémices du réchauffement climatique. Puis, au fur et à mesure des avancées technologiques, des pressions d’un système économique productiviste dominant et de l’accroissement de la population, ces dégradations se sont étendues et intensifiées.
A-t-on assisté à une accélération de cette dégradation plus récemment ?
Oui, car dès le début du 20ème siècle, l’utilisation massive du charbon et les débuts de l’industrie chimique ont accentué les atteintes environnementales. Cette pression anthropique s’est considérablement accélérée à la fin de la seconde guerre mondiale avec l’explosion de la chimie du pétrole (carburants, plastiques et ses dérivés, engrais, pesticides, peintures, etc.). Le constat est alarmant puisque la qualité de l’air, des eaux et des sols s’est dégradée en toutes zones de la planète. La perte importante de la biodiversité (plantes, arbres, animaux, insectes…) et la rapidité avec laquelle elle se déroule, sur terre comme dans les océans, témoignent de la gravité de ces atteintes environnementales.
Quelles sont les conséquences de cette dégradation environnementale sur notre santé ?
Qu’elles soient d’origine chronique ou accidentelle les conséquences sanitaires des atteintes environnementales sont dramatiques. Les trois composants majeurs de notre environnement que sont l’air, les sols et l’eau, sont contaminés par les polluants. De ce fait, ils sont transmis à l’organisme humain soit directement (voie pulmonaire, voie dermique)soit indirectement par le mécanisme de bioaccumulation dans les végétaux et les animaux que nous consommons (voie alimentaire). C’est ainsi qu’est né le concept One Health (une seule santé) pour signifier que la santé des plantes, des animaux, de la biodiversité en général et de l’Homme ne font qu’une, car étroitement interdépendantes. Les résultats des études de bio-imprégnation humaine en polluants réalisées dans de nombreux pays dont en France celle de Santé Publique France (cohorte Esteban) sont sans appel : la quasi-totalité de la population est imprégnée en plusieurs dizaines de polluants chimiques parmi lesquels on trouve les perturbateurs endocriniens. Les effets de cette pollution chronique sur notre santé se voient surtout sur le moyen et le long terme.
Existe-il des chiffres concernant l’impact de la pollution ?
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 90% de la population de la planète ne respire pas un air de bonne qualité. La pollution atmosphérique émise par les industries, le chauffage au bois et fuel, et surtout les transports sont responsables de plus de 60 000décès prématurés par an en France et de 7 millions dans le monde. En cause, principalement, les maladies cardiovasculaires (athérosclérose, infarctus du myocarde, troubles du rythme), l’accident vasculaire cérébral et les cancers pulmonaires. Un niveau élevé de pollution particulaire augmente significativement le risque de maladies métaboliques (diabète, obésité). De même, vivre à proximité d’une artère très fréquentée, affecte non seulement le bon déroulement de la grossesse (retard de croissance intra-utérin, naissance avant terme, faible poids de naissance) mais aussi la santé future du nouveau-né (asthme, troubles neuro-développementaux, obésité infantile) et favorise chez les sujets âgés le développement de la maladie d’Alzheimer. L’air des campagnes n’est malheureusement pas épargné. Une expertise collective de l’Inserm de 2015 a montré que l’utilisation intensive de pesticides provoque chez les agriculteurs comme chez les riverains une augmentation du risque de certaines maladies (maladie de Parkinson, leucémies et cancer de la prostate). Les dégâts sont aussi observés chez la femme enceinte avec chez l’enfant des risques accrus de leucémie, d’atteintes neuro-développementales, de malformations génitales et d’un faible poids de naissance.
On assiste donc à un accroissement des maladies chroniques…
De manière générale, l’exposition aux polluants chimiques, les perturbateurs endocriniens en particulier, est un facteur de la progression de la plupart des grandes maladies chroniques comme l’a montré le très important rapport de 2012 de l’OMS, confirmé régulièrement par de très nombreuses études dans le monde. Ce sont les cancers hormono-dépendants (sein, prostate, thyroïde, utérus, ovaire), le diabète de type 2, l’obésité, les maladies cardio-vasculaires, les troubles neuro comportementaux chez l’enfant (hyperactivité, déficit attentionnel, autisme…), les maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer), les troubles du développement et de la fertilité. Concernant les contaminations accidentelles, les effets peuvent être immédiats (toxicité aigüe) et/ou sur le moyen et long terme (toxicité chronique). On ne peut tous les citer ici, mais mentionnons l’épisode de pollution atmosphérique en 1952 à Londres (12 000 morts), l’accident de l’usine de Seveso en Italie libérant dans l’air des dioxines responsables de la hausse des leucémies, du diabète et de la baisse de la fertilité, la pollution de la baie de Minamata au Japon par le mercure entraînant des malformations congénitales chez les consommateurs de poissons. Non accidentel, l’épandage massif durant la guerre du Viêt-Nam de l’agent Orange, herbicide à base de dioxines, a entraîné la hausse des cancers, du diabète, des malformations congénitales, etc. Certains en meurent encore de nos jours. Chez nous, l’épandage de la chlordécone en Martinique est une véritable catastrophe écologique et sanitaire avec une incidence du cancer de la prostate la plus élevée au monde.
A-t-on vu de nouvelles pathologies apparaître en raison de cette dégradation ?
C’est dans le domaine des maladies infectieuses que nous voyons apparaître l’émergence de maladies provoquées par des virus inconnus. Ces virus, initialement hébergés chez des animaux vivant dans des zones sauvages isolées, ont été, sous l’influence de bouleversements écologiques induits par la déforestation intensive, transmis à l’Homme (zoonose) qui a investi ces zones. Au cours des quatre dernières décennies, plus de 70 %des infections émergentes se sont avérées être des zoonoses. Les conséquences sanitaires des zoonoses peuvent être gravissimes comme nous le voyons actuellement avec la Covid-19. Nous constatons aussi que, du fait du dérèglement climatique, des maladies virales connues émergent dans des pays où elles n’étaient pas présentes auparavant. C’est le cas du chikungunya. Tout aussi préoccupantes sont les causes nouvelles d’origine environnementale de la progression de pathologies bien connues que sont les maladies chroniques. Les maladies chroniques dans leur ensemble ont vu leur incidence doubler en l’espace de vingt ans. Les autorités sanitaires ont une approche réductrice de l’étiologie des maladies chroniques car elles mettent en avant le vieillissement de la population pour rendre compte de cette progression inquiétante, mais en sous-estiment les causes environnementales. Le seul vieillissement n’explique pas tout. Les données d’Eco-Santé montrent qu’entre 1997 et 2014 l’indice de vieillissement (rapport entre les + 65ans sur les moins de 20 ans) a progressé de 24% alors que les maladies chroniques ont progressé dans leur ensemble de 85%. Avec, par exemple, + 50% pour les cancers, un doublement pour l’obésité, + 237% pour l’insuffisance cardiaque, + 137% pour le diabète, + 128% pour l’accident cardio-vasculaire invalidant. On ne peut incriminer les prédispositions génétiques qui, si au niveau individuel jouent un rôle, ne peuvent expliquer au niveau de la population générale ces augmentations dans un laps de temps aussi court, plusieurs centaines d’années étant nécessaires pour modifier le patrimoine génétique humain. Il est donc indispensable de se tourner vers notre environnement qui lui, effectivement, s’est considérablement dégradé depuis plusieurs décennies. En ce sens, les progrès fantastiques accomplis depuis dix ou quinze ans par l’épigénétique permettent désormais d’affirmer que l’environnement agit sur l’activité de nos gènes et donc in fine sur notre santé.
Les pollutions tuent-elles ?
Oui les pollutions tuent. Dans un rapport de 2015, l’OMS estimait à 9 millions le nombre de décès annuels liés à la pollution totale ce qui en faisait la première cause de mortalité devant le tabagisme. Exceptées les intoxications aigües professionnelles (amiante, benzène…), il est cependant très difficile au niveau individuel d’établir un lien causal entre la pollution chronique et le décès car les causes environnementales sont multifactorielles, agissent sur le long terme et de nombreux biais peuvent exister. Ce lien ne peut être étudié que dans les études de population réalisées sur un très grand nombre de sujets. Cependant, pour les mêmes raisons de multifactorialité et de délai d’apparition de la maladie, la causalité entre l’exposition et la maladie ou le décès ne peut être établie avec certitude, on parle alors d’associations.La force statistique de ce lien dépend du type d’investigation (étude transversale, étude longitudinale, étude prospective…). Cette complexité rend compte des résultats parfois contradictoires que l’on observe entre les différentes études épidémiologiques. Les études expérimentales chez l’animal ou sur des cellules en culture permettent d’établir un lien causal entre un polluant et une dysfonction organique, cellulaire ou une pathologie. C’est donc un faisceau de preuves à la fois épidémiologiques et expérimentales qui permettra d’établir un lien causal entre l’exposition à un ou plusieurs polluants avec la survenue d’une pathologie, voire le décès.
Parmi les polluants chimiques, les perturbateurs endocriniens semblent avoir un rôle majeur dans l’évolution de l’épidémie d’obésité. Quels sont-ils ?
Un rôle important oui certainement, majeur possiblement. Différents facteurs interviennent dans la progression de l’obésité. On a identifié la malbouffe qui se caractérise par un apport énergétique excessif (graisses, sucres) et une piètre qualité nutritionnelle, la sédentarité et les conditions socio-économiques (stress, niveau de vie…). Néanmoins, les conseils hygiéno-diététiques (cinq fruits et légumes/jour, manger-bouger) prodigués pour réduire l’obésité, certes indispensables, n’ont pas permis de faire diminuer le taux d’obésité (1). Au mieux on constate un ralentissement de la progression ce qui laisse supposer que d’autres facteurs sont à l’œuvre. Les prédispositions génétiques jouent un rôle au niveau individuel, mais comme expliqué précédemment n’explique qu’à la marge la pathologie au niveau de la population. La réponse se trouve dans l’interaction entre gènes de prédisposition et environnement. Les équilibres hormonaux jouent un rôle majeur dans la régulation du métabolisme des lipides, des glucides, du contrôle pondéral, de la satiété, de la thermogénèse, etc… Donc, tout dérèglement de ces équilibres peut conduire au surpoids puis à l’obésité. Les scientifiques se sont logiquement intéressés depuis une vingtaine d’années au rôle que pouvaient avoir les perturbateurs endocriniens sur ces dérèglements et leurs conséquences sur l’obésité. Les études épidémiologiques et expérimentales ont permis d’identifier plusieurs types de perturbateurs endocriniens impliqués dans le dérèglement métabolique. C’est le cas de certains biphényles polychlorés (PCB), des dioxines, des perfluorés (revêtements anti-adhésifs des ustensiles de cuisines, cartons alimentaires…), des pesticides organochlorés, de certains phtalates (assouplissants des plastiques et emballages alimentaires), des bisphénols A et S, des polybromés (ignifugeants, retardateurs de flamme), du tributylétain (peintures anti-fooling des coques de bateaux). On qualifie ces perturbateurs endocriniens de substances obésogènes, c’est-à-dire qui favorisent le dépôt de graisses dans certaines parties de l’organisme (tissu adipeux viscéral en particulier) conduisant au surpoids puis à l’obésité.
Où les trouve-t-on ?
On les trouve dans les fruits et légumes (pesticides, herbicides), les poissons gras et gros (PCB, perfluorés, polybromés, pesticides organochlorés), les viandes grasses comme le mouton (HAP, PCB, dioxines, pesticides organochlorés), le beurre, laitages et fromages gras (HAP, PCB, dioxines, pesticides organochlorés). Les contenants alimentaires en plastique (barquettes, récipients de stockage, bouilloires…) libèrent dans les aliments sous l’effet de la chaleur et de l’usure les bisphénols et des phtalates. Les revêtements antiadhésifs des ustensiles de cuisine à base de téflon (poêle, moule à gâteau, casseroles et cartons alimentaires) libèrent dans les aliments sous l’effet de la cuisson et de l’usure les composés perfluorés (PFOA, PFOS) qui ont un potentiel obésogène. On les trouve dans l’air inhalé pollué par ces substances qui peuvent être présentes sur les particules fines (HAP, dioxines, pesticides…) et aussi dans les poussières domestiques. On détecte dans celles-ci des polybromés, le bisphénol A, PCB, phtalates. Dans les cosmétiques et parfums et dans les formes galéniques de certains médicaments (gélules) on trouve des phtalates à potentialité obésogène.
Comment absorbons-nous ces perturbateurs endocriniens et quelles formes prennent-ils ?
Nous sommes exposés aux perturbateurs endocriniens par la voie alimentaire (fruits, légumes, viandes, poissons, produits transformés et ultra-transformés…), par la voie respiratoire (air extérieur et air intérieur) et la voie dermique (produits de toilettes, cosmétiques). Les perturbateurs endocriniens ingérés par la voie alimentaire sont dirigés via la veine porte hépatique vers le foie où ils seront dégradés puis éliminés de l’organisme via les urines et fèces. L’efficacité de la détoxification hépatique dépendra du type et de la quantité de perturbateurs endocriniens. Ceux absorbés par la voie pulmonaire ou la voie cutanée passent dans la circulation (veine cave, artère pulmonaire) et atteindront différents organes où ils pourront s’accumuler.
Par quel processus les perturbateurs endocriniens conduisent-ils au surpoids ou à l’obésité ?
On ne connaît pas tout encore sur les mécanismes obésogènes des perturbateurs endocriniens. Comme dit précédemment, ils perturbent le système endocrinien en modifiant le subtil équilibre hormonal qui préside à d’une part au bon contrôle de l’apport alimentaire et d’autre part à une utilisation rationnelle par l’organisme des lipides et des sucres absorbés, donc d’un stockage et d’une mobilisation bien régulés des graisses et des sucres. La littérature nous apprend que les perturbateurs endocriniens de par leur mimétisme structural avec les hormones naturelles se lient à des récepteurs cellulaires normalement occupés par les hormones. Ces liaisons illicites incontrôlées envoient donc des signaux cellulaires tout aussi illicites aux cellules du foie (hépatocytes), cellules musculaires, cellules graisseuses du tissu adipeux (adipocytes), cellules endocrines pancréatiques, cellules du cerveau (neurones) conduisant à leur(s) dysfonctionnement(s). Les perturbateurs endocriniens interfèrent également avec le métabolisme et le transport des hormones modifiant ainsi le taux circulant d’hormones actives. Dans le cas des maladies métaboliques, la résultante de ces perturbations conduit au final à une accumulation excessive de lipides, principalement dans les cellules graisseuses du tissu adipeux viscéral.
Les enfants sont-ils exposés à ces perturbateurs endocriniens, y compris avant leur naissance ?
Oui les enfants aussi sont exposés à ces substances, et ce dès le stade fœtal. Et c’est bien là le souci. Les données de bio-monitoring comme l’étude Esteban mentionnée ci-dessus indiquent clairement que 99% des femmes enceintes sont imprégnées de plusieurs dizaines de polluants dont ceux identifiés comme obésogènes. Ces polluants sont retrouvés dans le sang du cordon ombilical, léguant au fœtus puis à l’enfant un héritage chimique toxique. De plus, le fœtus ne dispose pas encore de la totalité de l’équipement enzymatique lui permettant de détoxifier son organisme de ces substances qui, de ce fait, s’y accumulent et y exercent des effets toxiques dont des modifications épigénétiques sur les gènes du contrôle du métabolisme glucido-lipidique.
Quel impact peuvent avoir les perturbateurs endocriniens sur les générations futures ?
Les progrès immenses accomplis dans le domaine de l’épigénétique ont permis de montrer que les perturbateurs exercent sur l’ADN du fœtus et ses structures associées (histones)des modifications chimiques regroupées sous le terme de modifications épigénétiques (méthylation, acétylation, phosphorylation). Ils impactent aussi la production de micro-ARN. Ces modifications ne changent pas le code génétique mais altèrent l’activité des gènes. Pour imager, ces modifications sont comme des bombes à retardement qui peuvent déclencher plus tard des pathologies dès l’enfance ou à l’adolescence voire à l’âge adulte. C’est que l’on appelle « les origines précoces développementales de la santé et des maladies ». Par exemple, il été montré que l’exposition in utero au DDT, pesticide abondamment utilisé dès les années 50, prédispose la première descendance féminine à un risque accru de 3,7 fois de développer le cancer du sein. Il en est de même pour les maladies neuro-développementales (hyperactivité, autisme, déficit attentionnel), les maladies métaboliques. Plus grave, si ces modifications épigénétiques touchent le matériel génétique des cellules sexuelles du fœtus, on assiste alors à des modifications trans-générationnelles qui se transmettent à la deuxième voire troisième descendance. Cela est amplement démontré expérimentalement chez la souris mais aussi chez l’Homme avec l’exemple du tristement célèbre Distilbène, hormone de synthèse administrée chez les femmes enceintes dans les années 50 pour prévenir les fausses couches. On a constaté chez les filles une incidence accrue du cancer du sein, d’adénocarcinome vaginal et de l’obésité. On dispose maintenant de données chez la deuxième descendance qui montrent chez les petites-filles des grand-mères traitées une aplasie de l’utérus et chez les petits-fils une incidence accrue de malformations du pénis (hypospade).
Est-il exact que certains obésogènes augmentent le nombre et la taille des cellules adipeuses et, si oui, que se passe-il alors ?
Oui certains perturbateurs endocriniens obésogènes augmentent à la fois le nombre (hyperplasie) et la taille (hypertrophie) des cellules adipeuses (adipocytes). Il en résulte une augmentation de la masse grasse du tissu adipeux qui ne se comporte pas de manière neutre dans l’organisme. Ce tissu adipeux en excès chez les obèses sécrète des substances pro-inflammatoires entrainant un état inflammatoire chronique de l’organisme qui pourra faire le lit de maladies à composante inflammatoire comme certains types de cancers (sein, pancréas, foie, prostate…) et des atteintes vasculaires (athérosclérose).
Vous dites que nous risquons une bombe à retardement en matière de maladies métaboliques. A quelles pathologies pensez-vous ? Et pourquoi tant d’inquiétudes ?
Les pathologies concernées sont essentiellement le diabète de type II et l’obésité. De nombreuses données de la littérature qu’elles soient épidémiologiques ou expérimentales montrent que l’exposition aux pesticides organochlorés, PCB, phtalates, bisphénol A… durant la gestation prédispose la descendance à développer le surpoids et l’obésité. On sait que cette programmation fœtale se fait par des modifications épigénétiques qui peuvent être transmises à la 2ème, 3ème génération d’où l’importance d’éduquer le couple avant la procréation, de protéger la femme enceinte de façon à ne pas hypothéquer la santé future de l’enfant, et de protéger aussi la toute jeune enfance encore en plein développement. On peut à la lueur de ces données scientifiques se poser légitimement la question de savoir si l’épidémie de maladies métaboliques que nous voyons actuellement n’a pas pour origine des expositions passées à des polluants à une époque où la dangerosité des perturbateurs endocriniens n’étaient pas connue. C’est un véritable problème de santé publique car les maladies métaboliques affectent d’une part la qualité de vie de ceux qui en sont atteints et d’autre part les systèmes de santé qui ne pourront pas supporter longtemps ces coûts importants.
Y-a-t-il des solutions pour se protéger des perturbateurs endocriniens et quelles sont-elles ?
Heureusement oui. Les solutions sont de deux sortes : politiques et donc réglementaires sur le moyen et long terme, individuelles, c’est-à-dire citoyennes à plus court terme. La France s’est dotée depuis six ans d’une stratégie nationale de lutte contre les perturbateurs endocriniens (SNPE). Il y a eu la première phase 2014-2018, nous en sommes à la deuxième phase, 2018-2022. Si les objectifs de la SNPE qui visent à réduire l’exposition de la population aux perturbateurs endocriniens sont louables (former/informer, protéger l’environnement et les populations, accélérer la connaissance scientifique des perturbateurs endocriniens sur la santé) les moyens qui lui sont alloués ne sont hélas pas suffisamment à la hauteur de l’enjeu. Il est donc nécessaire que la société civile s’empare aussi de ce défi aussi bien individuellement qu’au sein d’associations comme le fait par exemple le Réseau Environnement Santé qui a impulsé la signature de chartes d’engagement par les collectivités territoriales (mairies, départements, régions) dont l’objectif est de réduire l’exposition de la population, des enfants en particulier, aux perturbateurs endocriniens. Au niveau individuel, nous pouvons aussi très bien agir en adoptant des pratiques vertueuses simples dans la vie de tous les jours. Les lecteurs peuvent se rendre sur les différents sites des associations pour se renseigner (voir ci-dessous). Ils proposent des conseils pour limiter chez soi l’exposition aux perturbateurs endocriniens, protéger la femme enceinte, les bébés et les jeunes enfants.
Par exemple ?
Au niveau alimentaire, il faut privilégier la nourriture bio, locale et de saison dont on sait à travers de nombreuses études (étude Nutrinet Santé) qu’elle réduit sensiblement le risque d’obésité (moins 55% en moyenne), de diabète et de certains types de cancers. On privilégiera les viandes et poissons maigres et petite taille qui concentrent moins de polluants. On peut remplacer ses ustensiles de cuisine avec revêtement en téflon par des matériaux classiques et inertes (verre, gré, inox, terre cuite, céramique…). Pour éviter le relargage des composés du plastique (bisphénols, phtalates) dans la nourriture, on évitera absolument le réchauffage des aliments au micro-onde dans les barquettes en plastique, de même qu’il faut bannir les bouilloires en plastique et l’eau de boisson en bouteilles de plastique. Chez soi, on supprime les sprays de toutes sortes (désodorisants, anti-poussières, désinfectants, nettoyants miracles…), les cires, les insecticides, les anti-acariens, etc. car une maison trop propre est une maison polluée ! On peut les remplacer avantageusement par des produits sains (vinaigre d’alcool, savon noir, savon de Marseille…) ou écolabellisés et par de la vapeur. On fera attention aux matériaux et jouets en plastique pour privilégier le bois massif, les peintures sans solvants. Pour le mobilier de salon, on choisira le cuir plutôt que les tissus qui sont imprégnés de polybromés. Les vêtements avec le label écologique sont évidemment préférables mais restent chers. On peut toujours dès l’achat d’un vêtement et avant de le porter faire un premier lavage pour éliminer une bonne partie des substances toxiques qu’il peut contenir. Idem avec les peluches et doudous. Enfin, on fera attention à ses cosmétiques en s’aidant des applications qui aident à choisir ses cosmétiques, parfums, lotions, dentifrices, etc. exempts de perturbateurs endocriniens comme Clean Beauty, Inci Beauty, Quel Cosmétique, Yuka.
En France, la santé environnementale n’est aujourd’hui, pas ou peu, prise en considération dans le cadre de la politique de santé. Comment y remédier ?
Nous accusons, il est vrai, un retard évident dans ce domaine. Le fait que nous nous soyons dotés d’une SNPE est un progrès. Il n’en demeure pas moins que les engagements pris restent trop vagues. La santé environnementale a été et est encore le parent pauvre de la médecine. Deux raisons à cela. Sur le plan scientifique, la mise en évidence du lien entre dégradation de l’environnement et la maladie a longtemps souffert de l’absence de preuves telles que la médecine conventionnelle les exige. Or, les causes environnementales des maladies sont multifactorielles et se voient sur le long-terme voire sur plusieurs générations. Cette complexité est liée en grande partie aux propriétés toxicologiques particulières des perturbateurs endocriniens. On observe une non-linéarité de la relation dose-effet, un effet cumulatif des faibles doses sur le long terme, un effet cocktail qui conduit à une synergie d’action des perturbateurs endocriniens entre eux et à la programmation épigénétique in utero des maladies. Sur le plan de la politique de santé, incriminer la détérioration de l’environnement dans la dégradation de la santé c’est revoir le modèle économique actuel (agriculture, élevage, alimentation, transports, urbanisme, etc.) ce qui forcément freine la mise en route de mesures audacieuses. Il est urgent de sortir d’une médecine qui soit uniquement de soins pour s’ouvrir avec plus de volonté politique vers une médecine de prévention c’est-à-dire faire de la santé environnementale un pilier du système de santé. Cela passe par la formation des professionnels de santé à la santé environnementale dès le début des études médicales jusqu’aux formations continues. Le PNSE4, la SNPE2 portent de belles ambitions mais malheureusement les moyens ne suivent pas. Il faut donner plus de moyens à la recherche publique dans ce domaine et aux agences sanitaires locales pour développer des centres de consultations en santé environnementale.
Quel impact social et économique sur les Français pourrait avoir une approche de leur santé par le prisme de la santé environnementale ?
L’impact social et économique qu’aurait une politique de santé environnementale audacieuse serait forcément positif. On le mesure à la lecture des différentes études du coût actuel des maladies chroniques d’origine environnementale. Un rapport du Sénat publié en 2017 sur les conséquences économiques et sociales de la pollution de l’air chiffrait le coût économique pour la France, toutes causes confondues, à environ 70 milliards d’euros par an. De même, des travaux parus en 2015 ont estimé que le coût socio-économique des PE pour l’Union Européenne se montait à 157 milliards d’€ soit 1,23 % du PIB de l’Union européenne. Comme exposé ci-dessus, seule une politique de prévention efficace permettra d’atteindre des objectifs de réduction des maladies chroniques d’origine environnementale (cancers hormono-dépendants, maladies métaboliques, maladies cardio-vasculaires, neuro-développementales, infertilité, etc.). Nous vivons actuellement une crise épidémique importante qui non seulement tue et peut hypothéquer la santé future de ceux qui n’en meurent pas, mais aussi coûte énormément aux systèmes de santé et à la société. Il est donc urgent de soulager le système de santé du poids croissant des maladies chroniques en donnant à la santé environnementale la place qu’elle devrait avoir dans la politique sanitaire. Se cantonner à l’analyse simpliste qui relie uniquement l’âge à la vulnérabilité à la Covid-19 est une erreur d’appréciation de la réalité alors que les facteurs de comorbidité liés aux maladies chroniques font le lit du virus. En France, les dernières données de Santé Publique France montrent que 88% des personnes hospitalisées et 94% des personnes décédées du Covid-19 souffraient d’une ou plusieurs comorbidités comme l’obésité (48%), le diabète, l’hypertension ou les maladies cardiovasculaires. Or, le nombre de maladies chroniques, en particulier celles à forte composante environnementale, a doublé entre depuis le début des années 2000, ce qui laisse supposer que si le Covid-19 était arrivé au début des années 2000, il aurait peut-être tué deux fois moins. Donc, si on ne s’attaque pas vigoureusement et d’urgence aux causes environnementales des maladies chroniques, nous serons toujours confrontés à ce qu’un virus, une bactérie, ait toujours un coup d’avance.
Propos recueillis par Philippe PALAT
(1) En quarante ans en France, l’obésité a triplé chez les adultes passant de 5,30% en 1981 (source Insee) à 15% en 2012 (enquête ObEpi-Roche).
Source : Ligue Contre l’Obésité