Naomi Fagla-Medegan et Gbobètô : Pour que les déchets n’en soient plus
Naomi Fagla-Medegan crée en 2018 l’association « Gbobètô ». En s’appuyant sur la gestion des déchets, l’association développe des activités économiques pérennes qui permettent de lutter contre la pollution et la pauvreté au Bénin.
« Gbobètô » c’est le nom donné aux ramasseurs d’ordures en goun-gbé, le dialecte local majoritaire au Bénin. C’est aussi le nom de l’association créée par Naomi Fagla-Medegan en 2018, qui s’appuie sur ces acteurs informels pour créer des activités pérennes autour de la valorisation des déchets. Sa créatrice est lauréate du Trophée Social et Humanitaire des Trophées des Français de l’étranger 2021 parrainé par France Médias Monde. Elle nous parle de son association qui conjugue social et écologie au Bénin.
Pourquoi avoir choisi de vous installer au Bénin?
Je suis Franco-Béninoise et mon père m’a fait découvrir le Bénin lors d’un voyage quand j’avais 16. Ça a été un coup de foudre qui m’a amené à orienter tous mes choix d’études et de carrière vers le Benin. J’avais l’idée qu’un jour je reviendrais pour mener un projet à impact positif dans le pays de mes origines paternelles. En suivant le programme Europe Afrique de Sciences Po, j’ai pu choisir un programme sur les problématiques urbaines dans les pays en développement.
Avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme à monter votre association en Afrique?
Les gens me prennent un peu de haut parce que je suis une femme mais surtout parce que je suis jeune. Au Bénin, la culture est très hiérarchique. Les vieux ont toujours raison. Après ce qui m’a beaucoup aidé, c’est qu’on m’a accordé davantage de crédibilité car je suis considérée comme une « blanche », bien que je sois métisse. Je pense aussi que les résultats parlent d’eux-mêmes. L’association a vu le jour en 2019 et en 1 an nous avons fait plus que certaines ONG dirigées par des hommes qui sont au Bénin depuis 15 ans.
L’idée était d’arriver à créer un modèle, qui pourrait ensuite être répliqué plus largement avec l’aide des autorités
Comment vous est venue l’idée de créer Gbobètô?
Durant mes nombreux aller-retours entre la France et le Bénin je réfléchissais à toutes les problématiques qui existent dans ce pays et comment je pouvais y apporter des solutions. L’idée du déchet m’est apparue comme pouvant agir sur les différents leviers, sociaux, environnementaux et économiques. Ils sont un vrai problème environnemental pour les villes béninoises mais si on s’y prend bien, ils peuvent servir de matière première pour créer de l’énergie, créer de l’emploi autour, créer des filières de valorisation.
En quoi le tri des déchets est-il un enjeu majeur en Afrique?
Pour l’instant les métropoles africaines produisent beaucoup moins de déchets que le monde occidental mais le problème réside dans le fait que les réseaux pour les collecter et les recycler sont embryonnaires. La questions des moyens est aussi problématique car les familles sont souvent très pauvres donc financer un service public de collecte et de valorisation est compliqué. Je me suis dis qu’à mon échelle j’allais expérimenter des choses. L’idée était d’arriver à créer un modèle, qui pourrait ensuite être répliqué plus largement avec l’aide des autorités.
Votre association mène de nombreuses actions innovantes, pouvez-vous nous en parler?
Gbobètô ne s’occupe plus de la collecte des déchets car le gouvernement s’y est mis, ce dont je me réjouis. Notre activité consiste maintenant à essayer de monter des filières de valorisation.
Nous avons une filière de transformation des résidus agricoles et organiques en combustible écologique. La cuisine se fait traditionnellement au charbon de bois au Bénin, ce pour quoi nous avons créé une briquette cylindrique qui sert de foyer amélioré. Fabriquée à partir de déchets elle permettrait aux ménages de faire des économies de 20 à 40% sur leur facture énergétique. Nous allons la commercialiser courant 2021.
Nous avons une filière plastique qui récupère les déchets qui sont transformés en broya pour être revendus à des industries du continent, sélectionnées pour les engagement éthique. Pour récupérer ces déchets, nous travaillions avec les petits collecteurs, que nous avons équipés et formés sur l’hygiène, la santé et la sécurité. Aujourd’hui, nous préparons un dispositif innovant avec les autorités via la Société gouvernementale de gestion des déchets, avec laquelle nous mettrons en place des unités de tri au niveau des points de regroupement des déchets et accompagneront les acteurs informels pour qu’ils deviennent des vrais entrepreneurs du recyclage.
Nous menons aussi un programme de sensibilisation dans les écoles avec déjà plus de 10000 écoliers touchés. Nous les sensibilisons à la pollution parce que le réflexe de jeter par terre ce qu’on a à la main est encore très présent. Nous les incitions à ramener leurs déchets à l’école pour que nous puissions les trier. En échange, nous convertissons ce qu’ils rapportent en subvention pour des projets socio-éducatifs pour les enfants: kits scolaires, petits équipements sportifs.
Quelles ont été les conséquences de la pandémie sur les activités de Gbobètô
Ça n’a pas été facile. Nous devions faire des lots de plastique à envoyer et vendre à l’étranger. Sauf qu’avec la fermeture des frontières, il nous était devenu impossible d’exporter. Nous avons réussi à surmonter l’année 2020 grâce aux adhérents de l’association qui se sont mobilisés pour nous faire des prêts massivement, ce qui nous a permis de continuer à payer nos 12 salariés. Maintenant tout va mieux !
Vous avez remporté le Trophée des Français de l’Etranger Social et Humanitaire parrainé par France Médias Monde, qu’est-ce que vous en attendez?
J’attends d’une part que ça mette en valeur ce qu’on fait parce qu’on a une équipe très mobilisée qui donne tout pour faire marcher les projets. Moi la première, ça fait 2 ans que je n’ai pas pris de vacances. J’espère que cette visibilité pourra convaincre davantage de personnes de nous soutenir.
avec la double culture franco-béninoise, nous pouvons avoir une force de frappe immense pour arriver à apporter le changement au Bénin
Quels sont les futurs projets de l’association?
Nous souhaitons renforcer nos partenariats avec les autorités, puisque ce sont elles qui sont censées être en charge de la gestion des déchets. Nous souhaitons leur présenter des propositions sur la façon de créer des filières de tri qui seraient vraiment bénéfiques pour la population et notamment pour les plus démunis. Nous souhaitons aussi renforcer nos partenariats avec la diaspora béninoise car je pense qu’avec la double culture franco-béninoise, nous pouvons avoir une force de frappe immense pour arriver à apporter le changement au Bénin.
Source : Le Petit Journal