LE SECTEUR INFORMEL : LABORATOIRE DES PREMIERS MÈTRES

L’informel naît là où les autorités sont défaillantes dans leur mission de garantir à chacun l’accès aux biens et services essentiels dont l’eau, l’assainissement, l’électricité…

Tristes réalités des quartiers informels

En milieu rural, l’organisation traditionnelle pallie souvent l’absence de services publics, mais en ville, en particulier dans les pays en développement où l’accueil de migrants issus de l’exode rurale constitue un défi majeur, une partie importante de la population n’a d’autres moyens pour survivre que de recourir au système D au travers duquel se retrouve une communauté de compagnons d’infortune qui construisent ensemble les solutions leur permettant de subsister, ou ont recours à des services non officiels : une place dans un bidonville, la vente d’eau en citernes, du travail à la tâche…

Parmi les dangers, il y a celui de la sécurité des personnes. Certaines tâches proposées par des employeurs informels, comme celle de curer les égouts pieds nus, sont mortelles. Les services urbains parallèles, organisés hors des standards professionnels, peuvent aussi créer de graves désordres pour la ville et l’environnement : piratage dangereux des réseaux municipaux, pollutions en aval des bidonvilles, inondations…

Autre problème, la mise en place de systèmes maffieux est parfois le corollaire des services informels qui attirent les prédateurs. Ce sont les vendeurs d’eau qui font payer cher un produit de qualité douteuse, les ambitieux qui se font élire monnayant les votes contre le raccordement illicite à l’électricité, ou des organisations qui rendent des services contre revenus et allégeances.

Du point de vue économique, outre le fait qu’il y a là toute une économie qui échappe au fisc, constituant un manque à gagner pour les autorités organisatrices et les opérateurs, et n’est pas sans impact sur le développement global, la normalisation des quartiers informels est extrêmement couteuse en cas de reprise en main par les services officiels à tel point qu’il est parfois plus économique de raser un quartier puis de le reconstruire, que de le normaliser.

Un écosystème où s’exprime l’inventivité

Mais l’informel présente aussi des avantages dont le principal est bien d’offrir des moyens de survie à chacun.

Dans l’informel, il y a aussi son intelligence, sa capacité à mettre au point des solutions adaptées aux contextes les plus contraints. Les réussites de certaines formes d’urbanisme informel ne sont plus à démontrer. Procédant de l’expression directe des besoins et de l’expérimentation in vivo, l’informel constitue le laboratoire BOP(*) par excellence, une des meilleures écoles du premier mètre, pertinente en ces temps de transitions démographiques, économiques et climatiques. S’y exprime en effet l’inventivité humaine faisant front à l’adversité, avec ses dangers et perversités certes, mais aussi ses réussites.

Apprivoiser l’informel et s’organiser en ce sens

Que faire de l’informel ? Outre le fait qu’il semble aujourd’hui impératif de reconnaître officiellement l’existence des activités et quartiers informels, sans déni ni tabou, ce qui est loin d’être le cas partout, il convient aussi d’accepter que l’informel constitue  « le » système transitoire en des périodes et des territoires contraints, afin de préparer opérationnellement la normalisation des conditions de vie, et, de s’organiser en ce sens. Ainsi, en Colombie, la création de services dédiés aux nouveaux arrivants, chargés de leur délivrer conseils et services de première urgence en attendant de leur proposer des logements et services d’eau acceptables, constitue un exemple passionnant.

Il semble aussi judicieux, au niveau local, de profiter opportunément de ce qui a été conçu et fait de mieux par le secteur informel. C’est le cas au Maroc lorsque l’on décide, dès 2002, d’intégrer dans le réseau public d’assainissement des canalisations posées intelligemment par les habitants. Considéré comme contraire à l’orthodoxie de la profession, ceci est accepté, ici où là, dès lors que la volonté politique le permet.

Autre exemple en Colombie , en cas de passage à la gestion déléguée de services d’assainissement liquide ou solide, les autorités imposent aux entreprises adjudicataires d’embaucher une partie des chiffonniers et cureurs informels présents sur le territoire, l’autre partie devant être accompagnée vers l’emploi et leurs familles prises en charge. Ceci permet non seulement de protéger cette population, mais aussi de profiter de son expertise technique et d’éviter par la suite les heurts, si fréquents quand les artisans informels sont laissés pour compte.

En fait, la création au sein des villes de services experts en gestion de la transition démographique, composés d’équipes polyvalentes, à l’instar de ce qui s’est développé en Colombie ou en Inde, constitue une piste intéressante pour faire face aux défis posés aux villes.

Cette réflexion ne concerne d’ailleurs pas que les pays en développement si l’on en juge par la gestion difficile des camps de réfugiés dans notre propre pays. Des transferts de savoir-faire du Sud vers le Nord pourraient d’ailleurs se révéler judicieux en la matière, pour le bien-être de tous.

Olivier Gilbert, Président de Réponse Sociétale (Société de conseil et de gestion de projets dans les domaines sociaux, environnementaux et territoriaux)

(*) Bottom of the pyramid, « provenant du terrain »

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