LE DIGITAL : LA SOLUTION AU DÉFI DE L’ACCÈS À L’ÉNERGIE DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT ?
30/05/2017 – Collège des Bernardins (20 rue de Poissy – 75005 Paris)
Dans le domaine de l’énergie, partout dans le monde, les innovations numériques foisonnent. Ces innovations pourraient permettre d’accélérer le processus d’électrification des pays en développement, qui souffrent d’un déficit majeur d’accès à l’énergie.
Quelles sont les conditions pour réussir ce saut technologique dans les pays en développement? Comment le numérique peut-il optimiser les systèmes d’alimentation existants (efficacité énergétique, économies, qualité de service…) et servir de levier pour le déploiement des énergies renouvelables ? Quelles stratégies d’alliance entre les grands acteurs de l’énergie expérimentés et les start up innovantes ? Quels nouveaux modèles économiques émergent ? Comment l’innovation observée dans ces territoires pourra-t-elle bénéficier aux pays développés ?
Débat avec Stéphan-Eloïse Gras, Karim El Alami, Gilles Vermot-Desroches et Laurent Morel. (biographies plus bas)
Synthèse des échanges
17 % de la population mondiale est aujourd’hui privée d’accès à une source d’énergie, ce qui entrave considérablement son accès à l’éducation, à la santé et à bien d’autres services essentiels. Les technologies digitales dans le domaine de l’énergie sont le produit de trois éléments : la télécommunication, les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Si nous assistons à une réduction des prix inédite de l’énergie et à un environnement politique tout à fait nouveau, la question de la gouvernance, des modèles sociétaux et de l’impact social des technologies se posent. Reste à savoir si, au-delà de tout contexte politique, les technologies digitales donneront un réel coup d’accélérateur au processus d’électrification des pays émergents et en développement.
Décentralisation de la production d’énergie
Le digital révolutionne la structuration du secteur de l’énergie et pousse ses acteurs à s’adapter. Historiquement, la production de l’énergie a toujours été très centralisée. Les nouvelles technologies de production énergétique associées au digital opèrent aujourd’hui une décentralisation du secteur du fait que ces technologies permettent le rapprochement de la production et des besoins et une consommation locale de l’énergie. Cela facilite l’apport d’énergie aux habitants des pays en développement notamment dans les zones rurales et isolées, d’autant que les prix des nouvelles technologies ont connu une baisse inédite depuis le début des années 2000, les rendant aujourd’hui beaucoup plus accessibles.
Optimisation de la production et de la consommation
Le digital apporte un changement fondamental dans l’optimisation énergétique car il permet d’anticiper à la fois la consommation et la production grâce à une plus grande visibilité et une plus forte traçabilité. Aujourd’hui, grâce aux données numériques collectées, production et consommation d’énergie peuvent être connues avec précision. On peut ainsi suivre la production et la consommation d’un bâtiment équipé de panneaux photovoltaïques, les analyser selon de nombreux axes, comme les données météorologiques ou encore le temps d’occupation, et ainsi optimiser leur gestion.
Le digital permet une plus grande agilité entre l’offre et la demande pour une meilleure efficacité : grâce aux informations relatives au niveau et la durée de consommation, la production peut être ajustée. Cette agilité réduit également la problématique du stockage de l’énergie et des batteries même si elle ne la résout pas encore.
Un défi énergétique à relever tout en répondant à l’enjeu économique et social
L’Afrique, et plus globalement les pays en développement, doivent s’approprier les techniques et les technologies présentes sur leurs territoires. Avec 65 % de la population africaine de moins de 25 ans et très éloignée du marché de l’emploi, former les jeunes aux métiers de la filière énergétique est un défi majeur. Avec 700 millions d’Africains qui ne devraient toujours pas avoir accès à l’énergie d’ici 30 ans, une main d’œuvre qualifiée importante s’impose pour installer et entretenir les équipements et les réseaux sur l’ensemble du continent. L’accès aux compétences s’opère d’ailleurs par le biais d’Internet et des technologies mobiles. C’est aussi là que réside l’un des enjeux pour la formation dans les pays émergents et en développement, mais également, dans une moindre mesure, dans la réponse au challenge de la création d’emploi et de la pression démographique.
Les innovations dans les pays du Sud portées par la dynamique du digital
Les tendances à l’œuvre dans les pays émergents et en développement réinventent la dynamique de l’innovation. Celle-ci est plus frugale du fait de contraintes importantes, en particulier financières, plus agile avec le digital comme le montrent les systèmes mobiles et « pay as you go », et davantage centrée sur les communautés et leurs besoins. L’innovation est aussi, dans ces territoires, plus collective et collaborative et dirigée vers des boucles courtes d’économie circulaire. Les modèles issus de ces nouvelles formes d’innovation sont différents de ceux mis en place durant les 30 dernières années dans les pays développés. Les importer dans ces territoires selon une logique de reverse innovation sont à étudier car les contraintes en matière énergétique y sont aussi de plus en plus importantes.
L’épineuse question du financement
Les investissements en matière d’efficacité énergétique devraient passer de 270 milliards de dollars par an en 2014 à 400 milliards en 2030. L’un des problèmes fondamentaux est de financer les énergies renouvelables qui restent encore difficilement accessibles pour les pays émergents et en développement du fait d’un investissement destiné à la mise en place de la solution et de taux d’intérêt élevés. Cela explique que la plupart des coûts infrastructurels sont aujourd’hui assurés par des partenariats public-privé. Certains acteurs tiers, comme les ESCO (Energy Service Company), se positionnent aujourd’hui sur des projets de mini ou microgrids du fait d’une nouvelle logique financière et de retours sur investissement intéressants pour certains projets. Mais cela suppose d’adapter la règlementation dans un secteur historiquement monopolistique.
La nécessité de renouveler la gouvernance pour accompagner le développement du digital
L’Afrique, l’Asie du Sud-Est et l’Inde accusent un déficit important en matière d’accès à l’énergie. Ce manque d’accès prend racine dans un contexte commun : déficit de compétences locales, faible niveau d’investissement public et manque de volonté politique de développement du secteur. Même si les progrès technologiques et l’investissement privé favorisent l’accélération de l’électrification, ces trois éléments posent la question centrale de la volonté politique et de la gouvernance. Le digital n’apportera pas de solutions miracles au déficit énergétique sans acte politique fort et l’accès à l’énergie dans les quartiers urbains très précaires et les bidonvilles ne pourra se résoudre par le simple apport d’équipements en kits solaires. La gouvernance permet de répondre non seulement aux questions de financement et de souveraineté nationale, mais aussi à la formation et l’éducation aux futurs métiers d’énergéticiens. Les pays ne pourront d’ailleurs pas faire l’économie d’une digitalisation et d’une numérisation à grande échelle de leur administration et de leur mode de fonctionnement ainsi que d’une acceptation de la façon dont le numérique vient transformer la gouvernance. Le digital bouleverse les jeux de pouvoirs en place et appelle à une nouvelle culture.
Biographies des intervenants :
Stéphan-Eloïse Gras, co-fondatrice et CEO d’Africa 4 Tech, une plateforme internationale dédiée aux innovations digitales en Afrique. Anciennement coordinatrice de la coopération numérique et prospective à l’Institut Français du Ministère des Affaires Etrangères, elle a développé de 2011 à 2014 «Digital Africa», un cycle de conférences pour les industries numériques en Afrique Subsaharienne. Chercheuse en postdoctorat à la Chaire Humanisme Numérique (Humanum) de Sorbonne-Universités à Paris, elle est également fondatrice et CEO de L’Oreille, un laboratoire mondial d’open innovation qui soutient les start-ups, les grandes entreprises et les institutions dans la réalisation de projets internationaux d’innovation numérique et de R&D.
Karim El Alami, co-fondateur et CEO de e-Lum, une entreprise de logiciels de service, la première plateforme d’intelligence artificielle de gestion de micro-réseaux électriques locaux pour les acteurs industriels & commerciaux.Diplômé de l’Ecole Polytechnique et de UC Berkeley en Californie, Karim El Alami a, au cours de son année à Berkeley, travaillé en partenariat avec un laboratoire de recherche eCal sur l’optimisation des systèmes énergétiques en Californie. L’expérience acquise en Californie et le témoignage d’industriels au Maroc lui a donné l’envie de développer des solutions de gestion intelligente en énergie pour les pays émergents.
Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric. Après une première expérience comme dirigeant d’ONG puis au sein d’un cabinet ministériel, Gilles Vermot Desroches rejoint Schneider Electric en 1998 pour créer et développer la Fondation Schneider Electric, sous l’égide de la Fondation de France et
prend ensuite la responsabilité de la direction du développement durable. Cette nouvelle direction comprend, en plus de la Fondation, l’impulsion et le déploiement des politiques de responsabilité environnementale, éthique et sociétale de Schneider Electric. Il est également en charge de l’entité « accès à l’électricité ».
Modérateur
Laurent Morel, directeur dans les activités conseil de PwC. Il intervient auprès de clients du secteur de l’énergie et des utilities en France et en Afrique Francophone sur des problématiques de transformation et de régulation. Il est ingénieur civil des mines et expert-comptable.
En partenariat avec le projet Lab Laboo de Convergences
Retrouvez nos intervenants sur le plateau de RFI pour l’émission 7 millards de voisins ici
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VIDÉOS DE L’ÉVÈNEMENT
Les intervenants de la matinale du 30/05/2017
Interview de Caroline Frontigny, Cofounder d’upOwa1