LA QUÊTE DE L’EAU DES EXILÉS CLIMATIQUES

Le concept de réfugiés environnementaux reçoit une attention considérable en 2002 lorsque le Tuvalu, paradis de l’océan Pacifique, invoque la responsabilité  des pays industrialisés quant à l’élévation du niveau de la mer, en raison de leurs émissions de gaz à effet de serre. La société internationale a depuis bien pris conscience de cette problématique. Le Conseil de sécurité de l’ONU a même alerté sur les menaces des possibles effets négatifs du changement climatique sur la paix et la sécurité internationale.

La réalité sur le terrain montre en effet que les schémas climatiques classiques changent : au-delà de l’élévation du niveau de la mer et des exils qu’il provoque, le réchauffement de l’atmosphère accélère surtout le cycle hydrologique et entraîne la multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes. Des millions de personnes sont alors contraintes à l’exil et doivent se déplacer  dans l’espoir de trouver une terre moins précaire en termes de disponibilité hydrique.

Au Bangladesh par exemple, le rythme de fonte des glaciers de l’Himalaya change sensiblement les régimes d’écoulement des rivières qui traversent le pays et peut les transformer en rivières saisonnières. Les inondations et les sécheresses se multiplient et fragilisent les populations locales et la combinaison de ces phénomènes entrainera inévitablement des migrations à l’intérieur du pays et vers l’Inde. Ces déplacements de populations en quête de stabilité augmenteront les tensions sur les ressources en eau des régions de leurs destinations. Ils pourraient provoquer des conflits non seulement au sein du Bangladesh mais aussi à l’échelle régionale. En outre, les mouvements migratoires globaux vers cette même région ne feront qu’aggraver lourdement la pression sur ses ressources en eau déjà insuffisantes.

Le changement climatique entraîne donc une instabilité hydrique, laquelle engendre la migration des populations qui en dépendent. Celles-ci créent une pression croissante sur les ressources en eau convoitées et augmentent, dans les régions d’accueil, le stress hydrique et donc la concurrence des usages et les conflits. A leur tour, ces derniers alimentent les migrations et réactivent l’effet délétère du schéma initial.         

En 2002, l’UNHCR a estimé à 24 millions le nombre de personnes dans le monde ayant fui leurs terres en raison de facteurs environnementaux. Certaines prévisions pour l’avenir s’annoncent plus pessimistes encore. Le chercheur britannique Norman Myers estime à 200 millions le nombre de réfugiés environnementaux lorsque le réchauffement climatique sera pleinement survenu. Cela laisse présager un potentiel conflictuel énorme puisqu’il faut imaginer que chacun de ces réfugiés aura besoin d’eau en quantité et qualité suffisantes pour sa survie. Toutefois, nombreuses sont les questions qui restent à résoudre pour anticiper et gérer ces flux migratoires et leurs impacts sur les ressources en eau qui les attirent.

Les institutions, les textes juridiques, les techniques et les systèmes de données nécessaires pour s’attaquer au sujet, sont aujourd’hui insuffisants. Le chantier est titanesque mais la situation sur le terrain pressante. La société internationale ne peut attendre que soient levées toutes ces zones d’ombres pour réagir. Le principe de précaution devrait constituer la base d’une action politique unanime et urgente.

S’ils veulent anticiper et atténuer les conflits dus à la pression des flux de migrations environnementales sur les ressources en eau, les responsables politiques doivent tout de suite s’engager dans quatre plans d’action parallèles :

  • l’élaboration d’une base scientifique solide qui permette une meilleure compréhension des liens de causes à effets entre phénomènes climatiques, migration forcée et conflits liés à l’eau ;
  • la sensibilisation des consciences publiques et politiques sur les aspects environnementaux et socio-économiques de ces migrations, ainsi que sur la détresse et la misère des déplacés qui ne devraient pas être perçus comme des « voleurs » d’eau par les communautés qui les accueillent ;
  • d’où la troisième action qui serait celle de l’amélioration de la législation afin de conférer aux déplacés des droits vitaux tels que l’accès à l’eau et une protection cohérente avec leur situation ;
  • et enfin, le renforcement des institutions existantes aux niveaux nationaux et internationaux, afin qu’elles soient habilitées à fournir une aide humanitaire adéquate et à coordonner les flux migratoires, leurs installations dans de nouveaux territoires et leurs besoins en eau, sans menacer les populations qui les accueillent.

Pour que la société internationale ne soit pas prise de cours face à une catastrophe humanitaire majeure et une constellation de conflits irréversibles, ces actions politiques doivent se faire en parallèle des efforts fournis pour limiter la dégradation de l’environnement et éradiquer la pauvreté. On compare les effets du changement climatique à ceux d’une arme de destruction massive. Et pourtant, certains décideurs trouvent encore les arguments – si déraisonnables soient-ils – pour renoncer à certains accords internationaux porteurs de la seule lueur d’espoir pour des populations déjà très vulnérables. Les autres ne doivent pas céder au défaitisme.

Lena Salamé,
Experte en droit international et diplomatie de l’eau 
Water Witness International, Membre du Conseil d’administration 
AIDA, Membre du Conseil exécutif

Avec mes chaleureux remerciements au Professeur János Bogárdi pour avoir partagé son travail et celui de son équipe sur le sujet.
R. Fabrice, J. Bogardi, O. Dun, K. Warner (2007), Control, Adapt or Flee. How to face environmental migration? InterSecTions, UNU-EHS, No. 5/2007, Bonn, Germany

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