Gilbert Houngbo, un parcours et une vision
La presse spécialisée et les syndicats ont plutôt bien accueilli l’élection de Gilbert Houngbo à la tête de l’Organisation internationale du Travail. L’ancien Premier ministre du Togo, 61 ans, et premier Africain à la tête de l’OIT, prendra ses fonctions en octobre.
Par Paule Fax
Gilbert Houngbo a été élu le 25 mars, dès le deuxième tour de scrutin à la direction de l’OIT (Organisation internationale du travail), face à l’ancienne ministre française du Travail, Muriel Pénicaud.
La presse professionnelle et syndicale ne tarit pas d’éloges sur le nouvel élu, même si certains s’interrogent sur la capacité d’action de l’OIT. Par exemple, le puissant syndicat français CGT rappelle que Gilbert Hounbgo est « reconnu pour le travail qu’il a accompli dans plusieurs organisations du système multilatéral » (Nations unies, PNUD, FIDA), tandis que le nouvel élu « connaît très bien l’OIT ». Il était soutenu dans cette élection par le mouvement syndical international et porte une vision « largement compatible avec les objectifs que les syndicats fixent à une organisation comme l’OIT ».
« Les gouvernements ne sont pas là pour créer des emplois mais plutôt pour faciliter la création d’emplois. Les emplois, essentiellement, doivent provenir du secteur privé. Mais le secteur privé ne doit pas bénéficier d’un laissez-passer ; les entreprises doivent respecter pleinement les principes et droits fondamentaux de l’OIT. »
La CGT forme le vœu que l’élection soit le signal d’un retour « aux valeurs de la déclaration de Philadelphie », adoptée par l’OIT en 1994. Ce texte établissait la primauté du progrès social et humain sur les considérations économiques et financières et proclame qu’« une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale ».
Professionnel chevronné, qui allie, selon ses proches, le souci du détail à de rares capacités de cohésion d’équipe, Gilbert Houngbo a rapidement gravi les échelons de la hiérarchie onusienne pour devenir, en 2005, directeur du Bureau régional du PNUD pour l’Afrique, sous la direction du secrétaire général de l’époque, Kofi Annan.
Trois ans plus tard, il a décidé de quitter le PNUD, le président togolais Faure Gnassingbé lui ayant demandé d’assumer les fonctions de Premier ministre du pays, un poste laissé vacant par la démission de l’ancien titulaire, Komlan Mally.
Un homme de réformes
Le gouvernement togolais avait alors besoin d’un leader pragmatique, moderne et avant-gardiste, alors qu’il s’engageait dans une période de réformes ; telles étaient les références que Gilbert Houngbo avait à offrir.
Il a appliqué ses talents pour repositionner stratégiquement son pays en tant que centre d’affaires fiable et agile dans la région. À cette époque, le pays était à la traîne par rapport à ses voisins, Ghana et Bénin, et l’économie stagnait. Gilbert Houngbo a répondu à ce défi en inculquant un climat plus favorable aux affaires et en amorçant la transformation du Togo en un pôle logistique régional.
Ce faisant, « la réforme et le changement transformateur vous obligent inévitablement à établir des normes rigoureuses et à vous assurer que les gens ne se contentent pas du statu quo », explique-t-il à Omar Ben Yedder.
Il a été Premier ministre du Togo pendant quatre ans, avant de rejoindre les Nations unies, en 2013, en tant que directeur général adjoint des opérations de terrain et des partenariats à l’OIT. Déjà. À ce poste, il a supervisé la structure extérieure mondiale de l’Organisation, le programme de coopération au développement de l’organisation et sa participation aux processus multilatéraux. Ici, il a pu compter sur ses talents de diplomate et ses qualités d’organisateur pour trouver des solutions là où d’autres ne voyaient que des problèmes.
Après quatre ans au BIT, Gilbert Houngbo a été élu en 2017 président du FIDA (Fonds international de développement agricole). À ce titre, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, lui a demandé de siéger au comité consultatif du Sommet 2021 sur les systèmes alimentaires. Gilbert Houngbo préside le FIDA à ce jour.
D’ailleurs, pour notre homme, les deux organisations partagent une mission similaire qui lui tiennent à cœur : « La lutte pour la justice sociale et la promesse de ne laisser personne de côté. Le FIDA cible les ruraux pauvres, l’OIT cible les travailleurs pauvres ». Le FIDA travaille par le biais de prêts et de dons, l’OIT crée le droit international et fournit des conseils et une expertise.
Sortir du piège de la pauvreté
« L’OIT possède beaucoup moins de pouvoir financier que le FIDA, mais elle a le mandat et la compétence de réécrire les règles du monde du travail. Je trouve cela fascinant, car cela a le potentiel d’améliorer la vie de nous tous, et notamment des plus pauvres de la planète. »
Gilbert Houngbo a grandi dans un village rural du Togo et il attribue son succès à une bonne éducation, au bon encadrement qu’il a reçu pendant son enfance et à un travail acharné. Il n’a jamais oublié le défi de joindre les deux bouts dans le milieu rural où il a grandi.
Il rappelle : « Pour réduire la pauvreté dans une telle situation, il faut permettre aux petits agriculteurs, aux communautés rurales, de sortir du piège de la pauvreté dans lequel ils sont en permanence pris. » S’adresser aux zones rurales, donc. « Pour autant, n’oublions pas que la pauvreté existe également dans les zones urbaines, en particulier dans l’économie informelle, qui fait vivre plus de la moitié de la population mondiale. Ici, le mandat et l’expertise de l’OIT entrent en jeu. »
Emplois, emplois, emplois
C’est une simple vérité que la richesse nationale doit croître avant de pouvoir être redistribuée. Mais il est nécessaire, soutient Gilbert Houngbo, de mettre en place des règles, des systèmes et des institutions qui garantissent la répartition équitable de la richesse de la nation, afin que la croissance améliore la justice sociale. « J’ai toujours estimé que les gouvernements ne sont pas là pour créer des emplois mais plutôt pour faciliter la création d’emplois. Les emplois, essentiellement, doivent provenir du secteur privé. »
Pour autant, « le secteur privé ne doit pas bénéficier d’un laissez-passer ; les entreprises doivent respecter pleinement les principes et droits fondamentaux de l’OIT », affirme-t-il.
Aussi, le dialogue social constitue-t-il le meilleur instrument pour faire progresser la justice sociale et garantir des pratiques commerciales responsables. « Grâce au dialogue social, qui implique les gouvernements, les employeurs et les travailleurs, nous pouvons promouvoir à la fois la croissance économique et la création d’emplois, tout en garantissant les droits au travail et les droits de l’homme en général. La question de la création d’emplois – garantir l’accès à un travail décent pour toutes les femmes et tous les hommes – est au cœur de nos efforts mondiaux de lutte contre la pauvreté, comme l’exigent les Objectifs de développement durable. »
À homme nouveau, vision nouvelle
« L’OIT est à un tournant, compte tenu du changement profond de ce qui constitue le travail et de la façon dont nous travaillons. Ma vision de l’OIT est très ancrée dans la nécessité de trouver des solutions mondiales innovantes aux changements qui se produisent dans le monde du travail. »
À son sens, l’OIT a élaboré de nombreuses conventions, recommandations et protocoles, mais si certains sont à jour, beaucoup sont devenus obsolètes en raison de l’évolution du monde du travail.
Il fait référence à l’économie des plateformes, à l’essor de la technologie numérique et de l’automatisation, aux accords de télétravail et à des chaînes d’approvisionnement de plus en plus complexes. Il estime qu’il existe un vide que l’OIT est dans une position unique pour combler en créant un nouvel ensemble d’instruments du travail modernisés.
« Le règlement est en cours de réécriture et l’OIT doit être au centre de cette conversation pour garantir que les travailleurs et les entreprises bénéficient de ces nouveaux instruments. »
Gilbert Houngbo considère que le prochain grand projet est de jeter les bases d’une coalition mondiale pour la justice sociale qui mènera la lutte contre les inégalités, l’exclusion et la marginalisation. [À ce sujet, lire la tribune qu’il a publiée sur magazinedelafrique.com].
« L’OIT a un rôle clé à jouer dans la mise en place d’une protection sociale universelle afin que toute personne qui en a besoin puisse y accéder à tout moment, comblant ainsi l’écart de protection sociale entre les pays à revenu élevé et à faible revenu. »