Aide au développement : comment la France veut la rendre plus efficiente
STRATÉGIE. En recentrant l’aide publique française sur l’Afrique subsaharienne et les dons plutôt que les prêts, la France affiche un nouveau paradigme.
Par Sylvie Rantrua
C’était une promesse du candidat Emmanuel Macron : concevoir une nouvelle politique de l’aide au développement de la France. Cette nouvelle politique se dessine à travers le projet de loi « de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ». Après trois jours de débats intenses, les députés ont achevé, dans la nuit du 19 au 20 février, l’examen en première lecture de la loi et des quelque 660 amendements déposés.
Le vote solennel sur le texte à l’Assemblée nationale a eu lieu le 2 mars, avant que le Sénat ne l’examine à son tour. La procédure accélérée ayant été déclarée en décembre dernier, une seule lecture dans chaque assemblée suivie d’une commission mixte paritaire devrait suffire. Du coup, le gouvernement espère bien une adoption d’ici à l’été.
« Cette loi qui révise celle de 2014, est aussi une demande de la société civile depuis de nombreuses années. Nous sommes satisfaits car elle place la France sur l’agenda de la solidarité internationale », se réjouit Louis-Nicolas Jandeaux, expert de l’aide publique au développement chez Oxfam France. « Et nous avons eu très peur qu’elle soit sacrifiée dans ce contexte difficile de pandémie du Covid », avoue-t-il.
Contexte
La pandémie de Covid-19 et ses conséquences sanitaires, économiques et sociales qu’elle disperse à travers le monde ont bouleversé les sociétés. Les inégalités mondiales se sont creusées. Les plus fragiles tombent dans la pauvreté. Loin des promesses d’« un monde d’après », « la compétition des puissances n’a rien perdu de sa brutalité, mais elle a gagné des terrains nouveaux. Y compris ceux-là mêmes où la coopération internationale est plus nécessaire que jamais », observe Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères qui porte cette loi. « Il est temps de choisir le monde que nous voulons vraiment, et de commencer à le construire avec nos partenaires de bonne volonté. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’une relance diplomatique solidaire, mais sans naïveté. Car la sortie de la crise pandémique se jouera là où elle a commencé, sur la scène internationale », poursuit-il.
« Faire plus et mieux »
Ce projet de loi redessine l’aide publique de la France et fait du développement un pilier essentiel de la politique étrangère de la France. Dans l’esprit, il s’agit de lutter contre la pauvreté et les inégalités mondiales, de protéger les biens publics mondiaux et de promouvoir « un modèle de développement solidaire, humaniste et progressiste ».
Le gouvernement peut faire valoir qu’il a déjà fait beaucoup : l’aide publique française (APD) au développement a atteint 10,9 milliards d’euros en 2019 et 12,8 milliards en 2020. Emmanuel Macron s’était engagé à ce qu’elle atteigne 0,55 % du revenu national brut (RNB) à la fin du quinquennat en 2022, contre 0,37 % à son arrivée à l’Élysée. Ce sera fait en 2022. Le projet de loi l’a actée et programmée.
Le Graal des 0,7 %
Sur un amendement voté à l’unanimité, ce projet de loi va aussi plus loin. « Pour la première fois, l’objectif de porter l’aide publique au développement à 0,7 % du RNB est gravé dans le marbre », se réjouit Hervé Berville, rapporteur LREM devant l’Assemblée nationale. « Ce vote à l’unanimité marque un moment historique après cinquante ans de promesses non tenues sur cet objectif par la plupart des pays riches, dont la France », souligne Louis-Nicolas Jandeaux. Oui, il faut revenir en 1970, année où les pays de l’OCDE s’étaient alors mis d’accord pour consacrer 0,7 % de leur richesse nationale au développement des pays les plus pauvres. Seuls le Luxembourg, le Danemark, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni avaient atteint ou même dépassé cet objectif en 2019. Grâce à ce projet de loi, la France l’atteindra d’ici à 2025. « C’est une première victoire, une belle victoire. Elle donne une dynamique et place la France en leader sur la solidarité internationale », se félicite Louis-Nicolas Jandeaux.
« Alors que l’Angleterre a fait le choix de réduire leur aide, que l’Allemagne a fait le choix de la stabiliser, nous avons fait le choix d’augmenter notre aide pour faire face aux enjeux globaux », insiste Hervé Berville. Pour atteindre les 0,7 %, les ONG estiment que l’effort budgétaire annuel serait de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros par an.
Un changement de paradigme et de méthode
Le texte redéfinit les objectifs, les moyens et les modalités d’intervention de la politique française de développement international. En deux mots, c’est une refondation et une nouvelle vision. L’APD sera désormais dirigée vers les pays les plus vulnérables en prenant en compte les thèmes transversaux et les secteurs prioritaires : environnement et climat, égalité femmes/hommes, santé, éducation, gestion des crises, accès aux droits humains, sécurité alimentaire, gestion de l’eau.
« Ce texte concrétise la volonté de passer de l’aide au développement aux partenariats et reconnaît les organisations de la société civile, les diasporas, les entreprises privées, les collectivités locales comme des acteurs clés de cette politique de partenariats, sur tous les sujets, explique Hervé Berville. Il ne s’agit plus de faire pour les partenaires du Sud, mais avec eux. Les défis sont communs : santé, changement climatique… » De son côté, Louis-Nicolas Jandeaux se félicite de « l’amélioration très nette de la prise en compte de la société civile, du Nord comme du Sud, notamment avec les amendements apportés à l’article 1 ».
Si le projet de loi porte sur le montant de l’aide avec des objectifs fixés, il se penche aussi sur la qualité de l’aide. Cela passe par une plus grande transparence sur les moyens engagés, les résultats observés et l’évaluation de l’impact des actions menées. Le texte prévoit la création d’une commission indépendante d’évaluation rattachée à la Cour des comptes. « Chaque année, le gouvernement devra présenter un rapport au Parlement, sur les objectifs tenus et les impacts pour avoir un débat sur la politique de développement. Ce sera un moment clé », explique Hervé Berville. Cette commission répond aussi au critère de redevabilité de l’aide et aura également pour mission de partager des études et des analyses sur l’aide déployée. « Cette commission apporte de la transparence et de la crédibilité par rapport à nos partenaires », souligne Hervé Berville qui précise que « le Trésor a déjà budgété 2 millions d’euros pour cette année pour son fonctionnement. »
La question des biens mal acquis prise en compte
Amendement voté à l’unanimité, le texte introduit le principe de la restitution des « biens mal acquis » à la population des pays concernés. Une demande portée depuis longtemps par les ONG comme Transparency International et Sherpa. Le fruit de la vente des biens confisqués aux représentants de pays étrangers condamnés pour blanchiment d’argent, corruption ou détournement de fonds devra donc être restitué aux populations spoliées. Pour gérer cet argent, une mission budgétaire va être créée au sein de la mission APD, rattachée au ministère des Affaires étrangères et de Bercy. « Il faudra absolument que la société civile de ces pays soit impliquée », insiste Hervé Berville. Il espère bien que le premier cas de restitution soit celui lié à Teodorin Obiang Nguema (fils du président de la Guinée équatoriale). « Il faut des projets qui ne soient pas des éléphants blancs mais qui changent la vie des gens », ajoute-t-il.
Par rapport à la précédente loi de 2014, le rapport d’analyse du Conseil économique social et environnemental (Cese) notait en septembre 2020, des avancées avec « l’intégration d’un volet programmatique avec des objectifs financiers jusqu’en 2022, mais aussi l’inscription de la politique de développement solidaire de la France dans l’Agenda 2030 des Nations unies, et à un effort sans précédent en matière de redevabilité et d’évaluation de l’aide au développement. Des progrès sont également notés en matière de gouvernance locale avec la création de conseils locaux de développement auprès des ambassadeurs et ambassadrices ». Cependant, compte tenu du retard pris dans l’examen de cette loi, l’aspect programmatique a perdu de son effet, désormais il ne porte plus que sur la période 2021-2022. Autre progrès notable, mis en avant cette fois-ci par Coordination Sud, par Olivier Bruyeron, « est le fait que l’approche du genre n’est plus seulement un objectif thématique, mais bien transversal à cette politique ». Il regrette toutefois que le texte ne s’aligne pas clairement sur le critère du Comité d’aide au développement de l’OCDE fixé à 85 %.
Des progrès restent à apporter
Les ONG, et notamment Oxfam, demandent un ciblage plus ambitieux. « Ce texte est porteur d’avancées, notamment avec une aide publique au développement ciblée sur les pays les plus pauvres. En revanche, nous demandons un ciblage plus précis dans la part prêts/dons pour les pays les moins avancés, qui devraient bénéficier majoritairement de dons », précise Louis-Nicolas Jandeaux.
Du haut vers le bas
Si ce projet de loi a fait l’objet de nombreux débats et d’une large concertation, l’aspect très vertical de la politique de développement déployée laisse un doute sur la capacité à laisser une place et une écoute de tous les acteurs et organisations de la société civile, de la recherche ou du secteur privé. Tout part du président et du conseil présidentiel pour le développement qui passe au-dessus du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), lequel a justement pour fonction de définir la politique française de développement. « Le président fixe sa stratégie, le Cicid, les grandes orientations et le Parlement, avec le gouvernement, la stratégie globale. Tout cela redescend au niveau des contrats locaux de développement. Chaque ambassadeur dans les pays en développement doit mettre en œuvre une feuille de route, adaptée à son pays et à ses priorités », détaille Hervé Berville.
Ambassadeurs, pilote de l’avion
Les ambassadeurs deviennent les vrais chefs de file de l’ADP. « La loi leur a donné pour la première fois ce rôle de pilote de l’avion de la politique du développement. Chaque année ils doivent réunir un conseil local du développement, avec tout le monde autour de la table, les partenaires du pays, les ONG, les entreprises », ajoute-t-il.
Source : Le Point