Afrique(s) : entre eau et déchets, bâtir un développement durable

Si le développement de l’accès à l’eau s’est aujourd’hui (relativement) bien positionné dans les agendas des décideurs, politiques et institutionnels, ONG – et même de certaines entreprises privées –, il n’en est pas de même pour l’assainissement des eaux usées, dont les objectifs de développement restent particulièrement décalés et en retard en dépit des multiples alertes depuis des décennies. Et rien n’y fait : le retard persiste. Pour ce qui est de la collecte et du traitement des déchets, cette problématique manque cruellement d’adressage prioritaire, alors que les besoins sont bien présents.

En Afrique(s), moins de 50 % des déchets sont collectés et ils terminent à 80 % sur des décharges non contrôlées à ciel ouvert, quand ce ne sont pas des milliers de tonnes de plastique exportés par les USAou l’Europe. Pourtant, le lien étroit qui noue ce trio mérite d’être remis au premier plan : sans préoccupation commune et associée sur ces sujets, il n’y a que des solutions partielles et donc bancales qui, développées séparément, sont vouées à l’échec ou, au mieux, manqueront d’efficacité et de pertinence.

L’accès à l’eau, un OMD mieux pris en compte

Depuis maintenant plus d’une décennie, le développement de l’accès à l’eau – c’est-à-dire l’accès à un point d’eau amélioré à moins de 30 minutes de marche aller-retour, pour au moins 20 litres par jour et par personne selon la définition donnée par l’ONU – s’est progressivement hissé dans les bonnes places des agendas pour le développement.

Les objectifs du millénaire pour le développement adoptés par l’ONUen 2000 visaient, au sein de l’« objectif 7 : assurer un environnement humain durable », à réduire de moitié le pourcentage de la population qui n’a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau de boisson salubre et à des services d’assainissement de base. Mais sans donner de délai concret de mise en œuvre…

Quinze ans plus tard, la cause de l’accès à l’eau est devenue un objectif à part entière des « objectifs de développement durable : 17 objectifs pour sauver le monde » (ODD), l’ONU déclarant dans l’« objectif 6 : eau propre et assainissement » qu’« une eau propre et accessible pour tous est un élément essentiel du monde dans lequel nous voulons vivre ».

L’assainissement de l’eau désormais bien intégré dans les OMD

Timidement, l’assainissement des eaux usées se raccroche enfin au développement de l’accès à l’eau. Il s’agit d’offrir des services de base qui permettent de contribuer à la lutte contre les maladies transmissibles par l’eau, second objectif que l’on retrouve dans le chapitre « Bonne santé et bien-être » et la cible 3.3 des ODD. Pourtant, ce sont 1,7 milliard de personnes qui sont annuellement affectées et près de 850 000 qui en meurent – dont 87 % en Afrique(s).

Un déficit de clarté quant à la collecte et au traitement des déchets

En revanche, offrir un environnement sain, collecter et traiter de façon durable les déchets produits par l’homme, particulièrement autour des habitations et en ville, reste un objectif vague, écartelé entre plusieurs déclarations. Il figure dans la catégorie « Bonne santé et bien-être » avec la cible 3.3 sur l’élimination des maladies, notamment transmises par l’eau, dans « Villes et Communautés durables » et les cibles 11.1 sur l’assainissement des quartiers de taudis et 11.6 sur l’attention particulière à accorder à la gestion des déchets, notamment municipaux, mais aussi dans « Consommation et production durables » et les cibles 12.4 et 12.5 sur la réduction de la production des déchets… Finalement, cet objectif de traitement des déchets n’est aucunement lié au développement de l’accès à l’eau et l’assainissement. Et de fait, cette hiérarchisation des priorités se retrouve dans les programmes pour chacune de ces trois thématiques.

Quid des programmes en place ?

Les programmes d’extension de l’accès à l’eau, en milieu urbains et semi-urbains comme en territoires ruraux, sont nombreux. À l’échelle du monde en développement, on peut en trouver à tous les stades : schéma directeur et faisabilité, développement des infrastructures, soutien de l’exploitation.

Les programmes liés à l’assainissement des eaux usées concernent en revanche essentiellement les villes, notamment les grandes métropoles. Prioritairement en phase schéma directeur ou faisabilité, et nettement moins en développement d’infrastructures. Ils sont en revanche complètement absents des soutiens à l’exploitation. En tout état de cause, ces programmes ne sont jamais (ou très rarement) connectés aux programmes de développement de l’accès à l’eau sur un même espace géographique.

Enfin, les programmes liés à l’assainissement de l’environnement (collecte, traitement des déchets) ne sont pas légion. Les « business models » se cherchent, et, particulièrement en Afrique(s), les programmes de développement d’infrastructures – y compris les plus basiques comme des centres d’enfouissement technique ou des unités de compostages — sont assez modestes et rarement des succès.

Un tremplin pour un mieux humain et environnemental

Pourtant, on ne le dit pas assez, ces trois « causes » des services essentiels, l’accès à l’eau potable, l’assainissement des eaux usées et la collecte et le traitement des déchets, sont intrinsèquement associées et, de fait, pas assez liées. Elles font partie des services de base pour un développement humain sain et durable, contribuent à la lutte contre les maladies, et se soutiennent mutuellement.

Une personne sur trois ne dispose pas d’un point d’eau potable ; deux personnes sur cinq ne disposent pas d’un point d’eau pour se laver les mains ; près d’un milliard de personnes sur Terre sont contraintes à la défécation à l’air libre ; 2,4 milliards de personnes ne disposent pas d’installations sanitaires de base, telles que toilettes ou latrines ; 80 % des eaux usées ne sont pas traitées… et chaque jour, mille enfants meurent de maladies dues aux conditions d’assainissement et d’hygiène. C’est le constat de base connu de tous, la situation contre laquelle lutter et contre laquelle sont censés se fonder tous les programmes de développement.

On ne cherche plus à démontrer aujourd’hui le lien entre accès à l’eau et développement économique ; entre amélioration des conditions d’hygiène et de santé et développement économique, amélioration de l’environnement et attractivité. Prises chacune en tant que telle, ces trois causes sont vertueuses, porteuses de développement humain, développement économique, développement durable.

La lutte contre les maladies évitables et transmissibles – l’eau au premier rang – est renforcée et progresse lorsqu’on développe l’accès à l’eau potable (maladies d’origine hydrique), qu’on y associe l’assainissement des eaux usées (choléra, hépatites, paludisme et autres maladies véhiculées et transmises par les insectes par exemple), et lorsqu’on se préoccupe de l’évacuation et du traitement des déchets d’origine humaine (maladies transmises par les rats, les puces par exemple).

Pourquoi il faut conjuguer ces trois « causes » des services essentiels

Ce qu’on souligne moins, c’est que prises séparément, ces trois causes sont contre-productives et peuvent même se révéler antagonistes.

Apporter l’eau dans un quartier enclavé, densément peuplé et dépourvu d’infrastructures d’hygiène de base sans se préoccuper du devenir des eaux usées, c’est introduire un facteur supplémentaire d’insalubrité dans ce quartier. Les eaux usées ont la particularité (outre qu’elles sont usées !) de drainer et de se charger de toutes les pollutions rencontrées sur leur passage. Mixées avec les ordures ménagères et les déjections humaines ou animales, elles sont vectrices de maladies liées au manque d’hygiène, favorisent l’installation et la propagation de nuisibles (insectes et rongeurs), qui eux-mêmes vont propager d’autres maladies.

Installer un point d’eau dans un environnement malsain, c’est prendre le risque de contaminer l’eau le long de la chaîne de distribution, du point d’eau au point de consommation.

Réciproquement, considérer comme intrinsèquement liées ces trois composantes d’un même service de base – celui du développement humain, sain et durable –, c’est apporter une véritable dignité à l’être humain et aussi s’assurer d’une véritable efficacité dans les moyens de lutte pour sa croissance.

Pour aller plus vite sur le chemin du développement, et garantir la durabilité et la pérennité des actions engagées, les solutions proposées doivent systématiquement intégrer ces trois composantes.

La porte de financements efficaces

La mobilisation des financements pour la mise en œuvre de ces solutions doit systématiquement exiger que ces trois composantes soient prises en compte. Les indicateurs de suivi – qui restent encore à construire – doivent mesurer les efforts et les progrès sur ces trois composantes intégrées dans un même objectif.

Simple appel au bon sens ou recherche d’une meilleure efficacité des programmes assortis d’une garantie de durabilité, favoriser ce trio c’est plus simplement considérer avec humanité et humilité, comme Amadou Hampaté Bah l’a exprimé : « Si vous voulez faire une œuvre durable, soyez patients, soyez bons, soyez vivables, soyez humains ! » dans la recherche résolue de l’impact humain le plus fort.

Par Patrice Fonlladosa, Président de (Re)sources, ancien président du Comité Afrique de Medef International, et Rémi Bourgarel, Membre de (Re)sources, président de Services for Environment.

Source : Le Point

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